Festival de Cannes 2024 : interview de Diane Kruger, star du film Les Linceuls
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Cannes 2024 : rencontre avec Diane Kruger, héroïne du nouveau film de David Cronenberg

Cinéma

Auréolée du prix de la meilleure actrice en 2017 au Festival de Cannes pour son rôle dans In the Fade de Fatih Akin, l’actrice allemande revient dans Les Linceuls, l’émouvant film de deuil du réalisateur David Cronenberg.

Diane Kruger en Atelier Versace au Festival de Cannes 2024. © Versace.

À Cannes, certaines comédiennes se sentent comme chez elles. C’est le cas de Diane Kruger, qui foule le tapis rouge depuis vingt ans et présente cette année encore un film en compétition. Ancienne mannequin, longtemps proche de Karl Lagerfeld, la plus française des allemandes a construit sa carrière entre le cinéma européen et Hollywood, de Troie à Inglourious Basterds. 

 

Dans Les Linceuls, loin du glamour auquel elle a pu être associée, elle joue trois rôles tout en fragilité : celui d’une femme morte qui revient hanter son mari (interprété par Vincent Cassel) dont il observe le corps en décomposition grâce à un système de caméra installé dans sa tombe, mais aussi la sœur de cette femme, ainsi qu’un avatar numérique. Nous avons rencontré Diane Kruger pour évoquer ce film atypique dans l’univers du cinéaste canadien, qui l’a emmenée très loin.

 

L'interview de Diane Kruger, star du film Les Linceuls de David Cronenberg, en compétition au Festival de Cannes 2024

 

Numéro : David Cronenberg vous a choisie pour un rôle très intime, puisque Les Linceuls a été inspiré par le souvenir de son épouse disparue en 2017 d’un cancer...

Diane Kruger : Quand j’ai reçu le scénario, j’ignorais la part autobiographique du film. C’est quand nous nous sommes rencontrés que David Cronenberg m’en a parlé. Pour être honnête, cela m’a un peu choqué. J’ai compris que j’allais me retrouver face à Vincent Cassel qui avec sa coiffure, son allure, ressemblerait comme deux gouttes d’eau à David. J’allais incarner la femme décédée. Certains moments sur le plateau n’ont pas été faciles à cause de cela. Ce n’était pas du tout David qui me mettait la pression, mais quand on voit l’état physique de mon personnage se dégrader, je ne pouvais m’empêcher de penser que derrière sur le plateau, le metteur en scène revivait des moments difficiles qu’il avait traversés. J’étais un peu le fantôme de son passé, même si Les Linceuls n’est pas un film réaliste sur ce souvenir : tout est exagéré et stylisé.

Diane Kruger et Vincent Cassel dans Les Linceuls (2024) de David Cronenberg. © Copyright Pyramide Distribution.

"Je suis fan des films de Cronenberg alors que je ne suis pas amatrice d’horreur." Diane Kruger

 

Tourner avec un réalisateur aussi chevronné que David Cronenberg, qu’est-ce que cela vous a apporté ? 

Je suis fan de ses films alors que je ne suis pas amatrice d’horreur. Mais son univers va au-delà, avec un ton bien à lui. Avant d’être actrice, je connaissais son cinéma. Je me souviens de La Mouche qui m’a traumatisée pour la vie (Rires). On ne peut pas s’empêcher de regarder malgré tout. Son cinéma peut déranger, mais son regard reste profondément humain. J’ai été très touchée qu’il me choisisse pour ce film qui est sans doute son plus personnel et peut-être le plus accessible. Je vois l’âme de David Cronenberg dans Les Linceuls. Souvent, ses créations se démarquent par leur texture assez froide et détachée, leurs aspects gore. Ici, il y a tout cela, mais avec quelque chose en plus. 

 

Dans le travail, comment cela se passe-t-il concrètement face à un réalisateur aussi chevronné, âgé de 81 ans ?

Étonnamment, David ne fait pas de lecture du scénario avec les acteurs en amont, ni de répétitions avant de tourner les scènes. Cela m’a dérouté car je n’en ai pas l’habitude. Si ce film était arrivé il y a dix ans, je ne suis pas sûr que j’y serait arrivée. Il fallait vraiment être prête. Sur un tournage comme celui-là, on respecte les mots, on n’improvise pas. On n’essaie pas, on y va. Il n’y avait pas d’indications de jeu dans le scénario, aucune référence, juste une conversation avant de commencer. Il est tout de même arrivé à David d’échanger avec moi sur le plateau quand je me sentais vulnérable à cause de la nudité. Je fais pas vraiment cela, normalement. Mais les scènes nues étaient essentielles car le film parle du corps, de l’amour physique qu’on a pour quelqu’un qui à un moment est en vie, et à un autre moment, part. David m’a expliqué comment allaient fonctionner les ombres, il m’a rassurée.

La projection du film Les Linceuls (2024) au Festival de Cannes 2024.

"C’est parfois difficile de sentir ce qu’on attend de vous." Diane Kruger 

 

Vous dites qu’il y a dix ans, vous n’auriez pas été prête à tourner ce film. Pourquoi ?

Je suis plus sûre de moi, voilà ce qui a changé. Pour moi, la plus grande difficulté dans la carrière d’une actrice consiste à se fondre dans les désirs et les envies de chaque metteur en scène. Les cinéastes sont des êtres très particuliers et différents dans leurs obsessions et le travail. C’est parfois difficile de sentir ce qu’on attend de vous. J’aurais pu être déroutée par la méthode de David sans l’expérience que j’ai aujourd’hui. J’ai beaucoup travaillé seule et avec Vincent Cassel pour me préparer. Ce qui m’ a donné confiance, ce n’est pas forcément la reconnaissance des réalisateurs ou mon prix d’interprétation à Cannes en 2017, mais vraiment la possibilité de cerner de mieux en mieux les personnages. Je suis plus âgée, je puise dans des choses que j’ai vécues. La vie est bien faite.

 

Vous travaillez toujours beaucoup les rôles en amont des tournages ?
Je ne fais pas partie des actrices qui peuvent arriver sur le plateau et se reposer sur la spontanéité. Pour être libre et rester ouverte à l’inconnu, j’ai besoin de me préparer. Je lis, je me documente. Pour In the Fade de Fatih Akin (film qui lui a valu le Prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2017), je me suis préparée pendant six mois. On ne travaille jamais pour rien, même si un film est mauvais. L’acteur n’est pas responsable du résultat final (rires). Parfois, je suis déçue, mais ce n’est pas là que se joue mon métier.

 

Le Festival de Cannes a toujours accompagné votre carrière. Quels sont vos souvenirs ?

Je n’ai que des souvenirs positifs, très forts. Les films les plus importants de ma carrière sont tous venus sur la Croisette. Cela a commencé avec Troie en 2004, qui a changé beaucoup de choses. Ensuite il y a eu Joyeux Noël de Christian Carion en 2005, qui a terminé aux Oscars. Inglorious Basterds de Quentin Tarantino en 2009, le film de Fatih Akin en 2017… L’excitation et l’angoisse de montrer son travail reste incomparable, y compris cette année avec Les Linceuls ! Bien sûr il y a les fêtes, les robes, les marques, mais nous sommes avant tout dans le plus grand festival du monde, entourés de cinéastes géniaux. C’est un privilège.

Diane Kruger et Vincent Cassel dans Les Linceuls (2024) de David Cronenberg. © Copyright Pyramide Distribution.

Avez-vous déjà repris le chemin des plateaux depuis ce tournage ?

Il y a beaucoup de metteurs en scène avec lesquels j’ai envie de tourner, même si j’ai moins de temps depuis que je suis devenue maman (sa fille Nova Tennessee est née en 2018). Alors, quand je tourne, je suis investie à 250%. Bientôt, on me verra dans Saint-Ex de Pablo Agüero, à nouveau aux côtés de Vincent Cassel. Ensuite, je vais tourner pour HBO Max en France une nouvelle adaptation des Liaisons dangereuses, que Jessica Palud réalise. Puis il y aura Little Disasters, une autre série adaptée du livre de Sarah Vaughan.

 

Vivez-vous toujours entre la France et les Etats-Unis ?

Jusqu’à la fin de l’année, je serai principalement en Europe et cela me fait du bien. J’aime beaucoup les États-Unis, mais je suis contente d’être ici. Je me sens européenne et j’adore tourner en France.

 

Les Linceuls (2024) de David Cronenberg avec Diane Kruger, Vincent Cassel et Guy Pearce, au cinéma le 25 septembre 2024.