Chiara Mastroianni : « Avec moi, les psys ont un bel avenir ! »

ENTRETIEN - L'actrice montera les marches mardi pour le nouveau film de Christophe Honoré, « Marcello mio ». Elle y fait revivre son père, Marcello Mastroianni, au côté de sa mère, Catherine Deneuve. Confidences sur les siens.
Chiara Mastroianni
Chiara Mastroianni (Crédits : © LTD / DANT STUDIO/H&K)

Depuis « Les chansons d'amour », elle est devenue la muse des films de Christophe Honoré. À force de complicité, le réalisateur lui a offert une fable fantaisiste et intime, joyeuse et introspective à la fois, dans laquelle Chiara Mastroianni, en pleine crise existentielle, se prend littéralement pour son père, Marcello Mastroianni, icône du cinéma européen, disparu en 1996. Un film, sélectionné en compétition officielle à Cannes, où fiction et réalité se mêlent, dans une mise en abyme qui convoque sa mère, Catherine Deneuve, et les hommes de sa vie, Melvil Poupaud et Benjamin Biolay. Et interroge sur le deuil, le manque et le statut d'acteur. Rencontre.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Est-ce que vous croyez aux fantômes ?

CHIARA MASTROIANNI - Oui, j'y ai toujours cru. La mère de ma demisœur Barbara [Flora Carabella, la femme de Marcello Mastroianni] était fan de films d'horreur et obsédée par le spiritisme. Très tôt, j'ai vu des photos d'ectoplasmes et des films qu'on ne montrait pas à un enfant de 7 ans, comme ceux de Dario Argento. J'étais ravie ! J'ai toujours aimé les contes, je suis dingue de Henry James. Et j'ai déjà joué des fantômes, comme celui de la tante de Christophe Honoré dans sa pièce Le Ciel de Nantes.

Et dans Marcello mio, vous ressuscitez votre fantôme à vous, votre père... Qui a eu l'idée de ce film, où fiction et intimité se mêlent ?

Nous avons fait un échange de fantômes ! Christophe m'a confié sa tante, et moi, mon père... Un jour, il m'a demandé s'il pouvait écrire un scénario sur ce thème. J'ai accepté, c'était évident qu'un tel film ne pouvait se faire qu'avec lui : j'ai la chance de travailler avec Christophe depuis près de vingt ans [sept films et une pièce]. La confiance entre nous s'est très vite établie, pourtant nous ne nous voyons pas dans la vie privée. Dans son premier film, j'avais un tout petit rôle, c'était frustrant mais il m'a dit : « On se retrouvera pour un autre projet. » À mon grand étonnement, il a tenu parole car il est très loyal. Il a ensuite été là dans des moments particuliers... J'ai traversé des périodes de questionnements internes où j'ai douté de moi et il avait comme des antennes : il m'appelait pile à ce moment-là pour me parler d'un nouveau projet.

Chiara Mastroianni dans Marcello mio

Chiara Mastroianni dans "Marcello mio" (Crédits : DR)

Vous l'avez laissé écrire un scénario très privé sur votre famille... Avez-vous pris part au script ?

Non, il a écrit seul. Mais c'est rigolo, ma mère m'a dit en le lisant : « Mais tu lui as quand même beaucoup parlé, à Christophe », alors que non !

Il m'a juste envoyé un questionnaire basique avec des questions comme « est-ce que tu regardais la télé avec ton père ? Est-ce qu'il avait un chien ? », et à partir de là il a créé une fiction, comme pour Le Ciel de Nantes qu'il a écrit d'après nos improvisations. Marcello mio est une comédie, une fable, une fantaisie... Le film d'un cinéaste qui aime le cinéma et a un grand respect des acteurs.

Le film est important pour vous aussi ?

Évidemment ! Mais ce n'est pas un hommage à mon père, c'est un film sur ce qui se passe pour les acteurs entre deux tournages. C'est aussi un film sur le manque. Cette actrice est en pleine crise d'identité et de manque de cette figure paternelle dont on lui rebat les oreilles à longueur de journée. Soudain, elle pète un câble, elle a un besoin énorme de faire revivre ce père. Là où la psychanalyse dit de faire ce travail en soi-même, par une discussion intérieure avec le défunt, mon personnage le fait revivre à l'extérieur et l'impose à tout le monde. Le film va au-delà des apparences : bien sûr, c'est Mastroianni et c'est Deneuve, des noms qui prennent toute la lumière... C'est le « décorum ». Pour moi, le film pose la question de comment on se débrouille avec nos fantômes, jusqu'où peut aller le manque.

Vous embarquez dans ce jeu votre mère et les hommes de votre vie... Aviez-vous imaginé que ressusciter Marcello pouvait aussi raviver des douleurs chez eux ?

Un fantôme qui revient agit comme un révélateur. Il pose les gens face à des choses jamais dites et inconscientes. Ça les bouscule. C'est la grande force de Christophe, qui est arrivé à incarner des idées aussi abstraites que le souvenir et le manque, dans les corps de Melvil [Poupaud] ou de Catherine [Deneuve]... C'était déjà le cas dans Chambre 212, où je dialoguais avec l'apparition de ma mère. Sur le papier, ce n'est pas évident, on se dit « c'est théorique, ça va être un film-concept ennuyeux », alors que c'est très ludique. On peut faire un film intelligent sans qu'il soit chiant.

Vous ressemblez à votre père, mais qu'avez-vous ressenti en vous découvrant transformée en lui ?

Ça m'a fait extrêmement plaisir et ça m'a donné une force incroyable et une grande liberté. La vie est tellement absurde que, alors que j'aurai bientôt 52 ans, si on ne me dit pas que je ressemble à mon père, je trouve ça bizarre. Maintenant, il arrive qu'on me dise que je ressemble à ma mère... Je tombe des nues ! Je me suis habituée à un certain schéma toute ma vie, je ne veux pas en déroger : je préfère qu'on me dise que je ressemble à mon père parce que je suis en paix avec ça, je m'y suis adaptée. Et si à travers moi on pense à lui, ça me fait même plaisir.

Chiara Mastroianni dans Marcello mio

Chiara Mastroianni dans "Marcello mio" (Crédits : DR)

Avez-vous eu l'impression de le retrouver ?

Non, c'est comme si je m'étais laissé posséder. C'est aussi ça, être acteur, être le plus disponible possible pour un metteur en scène, un personnage, une équipe. Quand j'enfilais mon costume, moi, Chiara, je disparaissais et j'avais l'impression d'être Batman... Ça me donnait de la force. Je joue deux personnages, Chiara et Marcello... mais quand j'étais en Chiara, ça m'amusait beaucoup moins que lorsque j'étais en lui... Bref, avec moi, les psys ont un bel avenir ! Quand j'ai lu la phrase du scénario « moi, ça ne me dérange pas de disparaître », j'ai su que Christophe avait compris quelque chose de moi au-delà du personnage : il voit que dans la vie je suis plus heureuse de dos que de face. Il saisit des choses chez moi que je ne saisis pas moi-même.

Est-ce que c'était facile de convaincre les autres comédiens de faire un film aussi personnel ?

Oui, car ils ont beaucoup d'humour et d'autodérision. Si on se prenait au sérieux, on aurait fait un film dramatique, voire un biopic, et là c'est la fin du monde ! Il y a aussi dans ce film des hommes très importants dans ma vie : Melvil [son ancien petit ami], qui m'a poussée à faire du cinéma, Benjamin [Biolay, le père de sa fille], qui m'a poussée à chanter, et Christophe, qui m'a poussée à faire du théâtre. Tout cela a un sens.

Quand on me dit que je ressemble à ma mère... je tombe des nues !

Il y a aussi de l'émotion, comme lorsque vous retournez avec votre mère dans votre ancien appartement familial... Le sujet a-t-il donné lieu à des discussions inédites entre elle et vous ?

Non, mais ce n'est pas parce qu'on s'est tout dit sur le sujet ; je pense que le film donnera lieu à des discussions plus tard. Mais pendant le tournage, même s'il est très personnel et parfois même ultra-intime, nous restions des acteurs. Dans l'appartement, il n'était pas question que nous arrivions toutes les deux chargées d'une sentimentalité qui aurait desservi le film. Avec une telle mise en abyme, il faut garder la vie privée à distance, sinon on casse le sortilège. Donc, nous jouions à être nous sans que ce soit tout à fait nous...

Le personnage de Fabrice Luchini apporte une réflexion sur votre métier, citant Michel Bouquet, qui dit que pour être acteur il faut « lâcher le pittoresque et devenir "banal" ». Vous êtes d'accord ?

Ça me parle évidemment... J'ai été élevée par un homme qui vivait son métier d'acteur comme ça : nous sommes à la disposition du film, on n'arrive pas avec ce qu'on est sur un plateau. C'est pour ça qu'il a réussi à se fondre dans tant de personnages différents. L'acteur ne doit pas prendre le pouvoir sur le film ou le personnage. Il y a des interviews très drôles de mon père, où il parle de l'Actors Studio... Il n'a jamais été là-dedans, il avait une grande humilité. Il m'a juste conseillé d'être patiente, entre les prises et entre les films, pour ne pas accepter n'importe quoi et durer dans le temps. Il m'a aussi dit de « réussir à traverser un travelling sans que ça se voie » et d'être juste le plus naturelle possible.

Mardi, vous monterez bien les marches du Festival de Cannes en tant que Chiara, pas en Marcello ?

Oui ! Marcello, c'est dans le film... Pour moi, Cannes, c'est vraiment le plus grand festival de cinéma du monde. Bien sûr, j'y suis allée avec mes parents... Mais pour moi, Cannes a commencé très jeune, quand je voyais à la télé les stars monter les marches, ça me rendait maboule. Je regardais les interviews de François Chalais, en noir et blanc, avec ces soirées où je voyais mon père à 35 ans, la nuit au bord d'une piscine avec des gens qui se jetaient dedans comme si c'était La dolce vita... Cannes, c'est plus fort que mes parents ; j'ai voulu faire du cinéma pour les films, pas pour eux.

Comme vous, votre fille Anna commence son métier d'actrice et a deux parents connus... Craignez-vous qu'elle passe par les mêmes questions d'identité que vous ?

C'est vrai que dans la famille nous sommes un peu comme les confiseries où il y a marqué « maison fondée en 1800 » ! Je serai toujours là si elle a besoin de conseils, mais c'est une fille super qui sait assez bien ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas. J'ai complètement confiance en ses capacités et en ses choix.

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Commentaires 2
à écrit le 24/05/2024 à 14:43
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La différence entre elle et d'autres artistes c'est qu'elle en est consciente !

à écrit le 19/05/2024 à 10:05
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Oh pas qu'avec vous on se doute qu'en effet il se passe beaucoup de choses dans la tête des fils de surtout dans ce milieu là exposé aux yeux du monde, le linge sale ne s'y lavant pas qu'en famille, quelle folie d'ailleurs. Mais dites vous bien que d...

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