Films : anatomie de la preuve

Films : anatomie de la preuve

Image extraite du film "Anatomie d'une chute" réalisé par Justine Triet. - Les films Pelléas - Les films de Pierre
Image extraite du film "Anatomie d'une chute" réalisé par Justine Triet. - Les films Pelléas - Les films de Pierre
Image extraite du film "Anatomie d'une chute" réalisé par Justine Triet. - Les films Pelléas - Les films de Pierre
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Ces dernières années, nombreux sont les films à traiter de la recherche de la vérité. Souvent structurés autour d'un procès, ils interrogent le poids de la parole. Que dit cet attrait pour la quête de preuves ? À l'ère #MeToo, le cinéma procède-t-il à son examen de conscience ?

Avec
  • Arthur Harari réalisateur, scénariste et acteur
  • Delphine Girard Réalisatrice
  • Raphaëlle Pireyre Critique de cinéma, elle publie régulièrement des articles sur le site AOC

Tous les acteurs de la justice en témoignent aujourd’hui : la multiplication des traces numériques de nos vies change l’idée que l’on se faisait jusqu’alors de la preuve.

Est-ce pour cela que nombre de films récents interrogent l’établissement des faits dans un procès ou dans un processus judiciaire ?

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Anatomie d’une chute bien sûr, mais aussi Le procès Goldman l’an dernier, plus récemment Quitter la nuit, premier film de Delphine Girard : tous questionnent les faits criminels et leur interprétation.

Un vieux ressort dramatique bien sûr, qui depuis Hitchcock jusqu’à la vérité de Clouzot, piège le spectateur supposé naviguer entre plusieurs vérités.

Mais ce procédé est-il remis sur le devant de la scène à l’heure du mouvement #Metoo ?

France Culture va plus loin (l'Invité(e) des Matins)
35 min

Les films à procès sont-ils le miroir d’une société qui questionne son rapport à la notion de vérité ?

Arthur Harari, à propos de l’omniprésence des films de procès : « Il y a vraiment quelque chose qui revient et je pense que cela a à voir avec la multiplication presque sans mesure des subjectivités à la fois en termes médiatiques et en termes d'audiences. En effet, il n’y avait pas énormément de voix dans le passé, que ce soit les comptes rendus qu'on faisait dans les journaux ou dans les médias et il y avait aussi un nombre plus réduit de personnes qui avaient le droit à la parole dans un espace qui pouvait être l'espace judiciaire. Aujourd'hui avec Internet et les réseaux sociaux, où cela s’observe de façon exponentielle, il y a l'idée qu'aucun espace, aucune subjectivité, aucune parole aurait moins d'importance que les autres. Il y a donc quelque chose sur le trouble absolu que représentent la parole et la vérité ».

Raphaëlle Pireyre : « Je pense qu'il faut souligner que le cinéma français est un cinéma qui s'est beaucoup intéressé à la parole. Depuis le début du parlant, on a eu des grands cinéastes de parole, Sacha Guitry, Marcel Pagnol, Éric Rohmer ou encore Jean Eustache. Ainsi, les films de procès ou les films d'enquête sont des films où la parole est l'action. Mais je pense qu'en ce moment, s'il y a une tendance très forte du film d'enquête et de procès dans le cinéma français, cela relève à la fois d'une fascination pour ce qu'est le tribunal, perçu comme une chambre d'écho de la société où on va pouvoir écouter tout le monde et où la parole est complexe. Aussi, le tribunal est un lieu où la parole est écoutée ce qui est quelque chose d'agréable dans notre société. Et puis je pense aussi que derrière cette fascination pour la machine judiciaire il y a une critique vive de ce qu'est la justice. Cette critique se base notamment sur le fait que les mentalités sont en train d'évoluer plus vite que la justice elle-même avec ce sentiment que le tribunal n'est pas forcément l'endroit actuellement où ces questions peuvent coller à la justice ».

Delphine Girard rebondit en évoquant les réflexions qui ont accompagné la réalisation de son long-métrage, « Quitter la nuit » : « Mon film a forcément à voir avec le mouvement #MeToo parce que c'est une conversation qui avait lieu autour de moi et à laquelle j'ai l'impression que le film participe. Mais je pense aussi que nous sommes à d'autres stades de la conversation qu'au tout début du mouvement #MeToo. Au sujet de la question de la justice j'avais la sensation qu'on était prêts et j'ai eu envie de rentrer dans un moment où on discute justement de savoir si les choses sont entendues et si la justice a la capacité d'entendre la nuance, les contradictions et la complexité des êtres humains. Le moment du procès, dans le meilleur des cas, est un moment où les paroles sont écoutées. Mais, en réalité, c'est rarement ce rendez-vous-là. Et pour mon film « Quitter la nuit », j’ai travaillé sur le fait que tout se règle en dehors de la salle de justice. C'est-à-dire que la proposition que la justice fait ne répond pas aux besoins que les personnages ont car j'ai l'impression que ce n'est pas toujours ce moment qui peut entendre et qui répond de manière juste à ce qui est vécu. En effet, il y a un décalage temporel où la justice n'a pas encore pu se mettre complètement à jour par rapport à des nouvelles notions. J'ai l'impression qu'on est à un moment où on considère qu'il y a des choses qui laissent des traces importantes dans la vie des gens mais qui pourtant ne laissent pas forcément de preuves. La justice devient alors un cadre qui n’est pas toujours adapté aux histoires des gens ».

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