À Timmins, la seule maison pour femmes francophones victimes de violence déborde | Le Devoir

À Timmins, la seule maison pour femmes francophones victimes de violence déborde

Chantal Mailloux, directrice générale d'Ellevive
Photo: Lise Denis Le Devoir Chantal Mailloux, directrice générale d'Ellevive

Le français recule au sein des plus grandes villes du nord de l’Ontario. Mais un nouveau vent semble souffler sur Timmins, depuis la nomination, en octobre 2022, d’une première mairesse franco-ontarienne. Le Devoir est allé sur place, afin de faire le point sur l’état du français dans la ville au coeur d’or, rattrapée par de nombreuses crises.

La seule maison de Timmins pour les femmes francophones victimes de violence conjugale déborde. Tandis que Queen’s Park débat de la reconnaissance d’une « épidémie » de ce type de violence dans la province, les cas se complexifient, s’entremêlant avec des problèmes de dépendance et de logement.

« Ça fait longtemps que la maison est en surcapacité », affirme la directrice générale d’Ellevive, Chantal Mailloux. Le seul centre pour femmes francophones victimes de violence dans la région dispose de dix lits, mais il lui en faudrait le double pour répondre à la demande.

Après la pandémie, « on a vu vraiment une grosse hausse dans la demande de services, puis, depuis ce temps-là, ça n’a jamais arrêté », raconte Mme Mailloux. « Aussitôt qu’il y en a une qui part, il y en a une autre qui rentre. »

Selon elle, les cas de violence sont aujourd’hui « beaucoup plus complexes » et s’entremêlent à de la dépendance aux substances, à des problèmes de santé mentale ainsi qu’à la crise du logement. Résultat : les femmes qui devraient rester « cinq à six semaines » chez Ellevive passent en moyenne « deux bons mois » dans la maison d’hébergement.

Toutes ces « barrières » les empêchant de s’établir seules en poussent certaines à retourner dans une situation de violence qu’elles pensent mieux maîtriser. En moyenne, « ça prend à une femme au moins huit fois avant de partir pour de bon ».

Reconnaître l’« épidémie »

Malgré des besoins criants, Mme Mailloux n’a pas l’impression que la situation soit « une priorité pour le gouvernement » de l’Ontario. En avril dernier, toutefois, le leader parlementaire conservateur Paul Calandra a déclaré que le parti au pouvoir allait soutenir un projet de loi, déposé un mois plus tôt par l’opposition néodémocrate, visant à reconnaître l’« épidémie » de violence conjugale que vit la province.

Le gouvernement Ford s’était pourtant opposé à l’idée en juin dernier, même si plus de 30 municipalités ontariennes avaient déclaré que c’était le cas. On en compte aujourd’hui près d’une centaine, dont Timmins.

Ce changement de cap donne « espoir » à Mme Mailloux. « La violence, elle, ne diminue pas. C’est bien beau d’avoir des pansements, mais, à un moment donné, il faut vraiment faire quelque chose de gros. »

La mairesse de Timmins, Michelle Boileau, appelle également le gouvernement provincial à adopter « une approche plus stratégique pour le Nord » ontarien, où les défis sont « uniques ». Selon l’élue, Ellevive « travaille à surcapacité tous les jours parce qu’elle est aussi en train de desservir [une] région » qui s’étend sur près de 500 kilomètres et qui compte des municipalités dépourvues de services.

Elle ajoute que la fermeture d’un centre d’hébergement bilingue de Matheson, en 2019, a engendré une « surcharge » dans les établissements de Timmins. Le gouvernement ontarien estimait pourtant à cette époque qu’il y avait « suffisamment de services dans la région » pour répondre à la demande.

Des services dans sa langue

Lorsqu’elles sont contraintes de se diriger vers d’autres maisons d’hébergement de la région par manque de place, les femmes risquent d’être mises à l’écart de leur communauté. L’hébergement bilingue le plus proche se trouve à près de deux heures de route, à Kapuskasing.

Il existe une deuxième maison d’hébergement à Timmins, mais celle-ci est anglophone. L’établissement, lui aussi souvent au maximum de sa capacité, collabore étroitement avec Ellevive pour que les femmes francophones qu’elle accueille puissent recevoir des services d’appui transitoire et d’aide à la recherche de logement dans leur langue. Des intervenants accompagnent aussi les enfants qui témoignent de la violence subie par leurs mères et soutiennent les femmes, principalement autochtones, victimes de traite des personnes.

La possibilité de mener ces discussions sensibles dans leur langue est « importante », selon Mme Mailloux. « Quand tu es plus à l’aise en français, puis que tu es en train de vivre une crise personnelle, c’est vraiment difficile d’avoir à gérer ça en plus de la traduction », dit-elle, estimant que la présence d’une « culture francophone » au sein de la maison met les victimes « à l’aise ».

Faire confiance à la police

Le Service de police de Timmins, lui aussi, fait des efforts pour gagner la confiance des femmes. Depuis 2018, un comité auquel participent notamment les deux maisons d’hébergement de la municipalité révise les plaintes d’agression sexuelle qui n’ont pas mené à des charges. Une démarche qui a engendré « beaucoup d’améliorations », note Mme Mailloux.

Mais il y a encore du chemin à faire. « Le nombre de femmes victimes de violence qui vont le signaler à la police est très, très, très minime », déplore celle qui est à la tête d’Ellevive depuis 2019. Son équipe du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel prend soin d’« être honnête » avec elles sur la lourdeur de la démarche. « Dans les cas d’agression sexuelle, la preuve est sur la victime. C’est vraiment la victime contre l’agresseur, sa mémoire, ses souvenirs. C’est un processus très pénible », explique Mme Mailloux. Quant à « s’attendre à ce que la justice soit rendue, probablement que ça n’arrivera pas ».

Le fait que la police « manque de ressources » dans un contexte où le taux de criminalité de la ville est « assez élevé » met par ailleurs « beaucoup de pression sur le corps policier ». « Ils ont une équipe spéciale pour traiter des cas d’agressions sexuelles, mais comme ils sont une toute petite équipe, c’est vraiment difficile pour eux de répondre à toute la demande. »

« Des fois, il y a un meurtre, puis après ça, t’as une femme qui arrive et qui dit qu’elle s’est fait agresser sexuellement. […] Le meurtre va prendre une priorité, fait que la femme va tomber sur le backburner », affirme-t-elle.

Le Service de police de Timmins n’a pas répondu aux questions du Devoir.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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