Un Fauteuil Pour l'Orchestre – Le site de critiques théâtrales parisien » Salomé, musique de Richard Strauss, mise en scène de Lydia Steier, à l’Opéra-Bastille

À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Salomé, musique de Richard Strauss, mise en scène de Lydia Steier, à l’Opéra-Bastille

Salomé, musique de Richard Strauss, mise en scène de Lydia Steier, à l’Opéra-Bastille

Mai 11, 2024 | Commentaires fermés sur Salomé, musique de Richard Strauss, mise en scène de Lydia Steier, à l’Opéra-Bastille

 

© Charles Duprat -OnP

fff article de Denis Sanglard

 Les murs de l’Opéra Bastille ont tremblé sous les applaudissements du public pour cette reprise de Salomé de Richard Strauss, mise en scène radicale de Lydia Steier, consacrant aujourd’hui Lise Davidsen dans le rôle éponyme. Une voix comme de la lave en fusion, une présence irradiante et une interprétation incandescente qui mène son personnage aux confins d’une folie autodestructrice et rédemptrice.  Lydia Steier projette cet opéra dans un futur, une dystopie où la décadence d’un régime s’effondrant sur lui-même amène à l’horreur absolue, affranchie de toutes limites morales. Entre l’or et l’ordure, le sublime et l’abject, c’est une société corrompue, en décomposition. Au centre de ce maelström obscène, Salomé. Loin de la tentatrice, de la femme fatale, elle est l’incarnation d’une résistance au système qui n’a pas d’autre choix pour l’anéantir que de se détruire. Jochanaan la révèle à elle-même, dans la découverte de son désir charnel envers lui, une épiphanie, elle appartient de fait à cette société qu’elle méprise. L’épicentre de cette révolte et de cette violence n’est pas dans la décollation de Jochanaan demandée mais dans la danse des sept voiles. Scène d’une crudité et d’une violence quasi insoutenable qui voit Salomé immobile subir les attouchements de Herodes avant d’être violée collectivement par ses courtisans. L’abandon volontaire et calculé de son corps qui précède la mise à mort de Jochanaan est un acte sacrificiel, extrémiste et terroriste, qui doit purger cette société gangrénée.

Lydia Steier n’édulcore rien, c’est gore, trash, kitsch, punk, grand-guignol, théâtral. Il ne s’agit pas de choquer, le public en a vu d’autre et ne s’étonne plus de rien, mais par cette accumulation illustrative puisant à la source du roman d’Oscar Wilde, de montrer paradoxalement le vide abyssal sur lequel repose ce monde en déliquescence. Et dans ce gouffre existentiel, en déplaçant le regard, exacerber la figure expressionniste de Salomé (que souligne sa tenue et son maquillage) sublimée aujourd’hui par Lise Davidsen qui s’empare de ce rôle avec une détermination sans faille et sans faillir. Malgré une pirouette finale inattendue qui voit Salomé être dédoublée, l’une au sol défaillante prêt d’être exécutée, la seconde dans les airs dans la cage de Jochanaan, liée à lui, pour une assomption, un liebestod comme un point d’orgue, Lydia Steier fait montre d’une cohérence dans son propos qu’elle ne lâche pas, s’appuyant, au-delà du texte, sur la musique de Richard Strauss et sa violence, soulignant la conflictualité psychique des personnages d’Oscar Wilde dont est issu le livret. En résumé et lapidairement, Richard Strauss est ici à la musique ce que Freud est à la psychanalyse. Et c’est bien à ça que Lydia Steier s’attache en renversant les perspectives dramaturgiques, faire le vide par le plein pour mettre à nu la psyché complexe des protagonistes de cette œuvre complexe.

Mais cette mise en scène, comme cet opéra sans préambule comme si nous prenions l’actions en cours, , demande des interprètes hors-normes. Dans la fosse le chef Mark Wigglesworth déploie la partition dans ses pleins et ses déliés avec subtilité, fait monter ce crescendo infernal entre raffinement et violence, là encore le vide et le plein. Toute la charge fortement expressive et terriblement vénéneuse de cette partition explose que l’attention porté aux chanteurs accentuent encore davantage. C’est un plateau vocal de choc, d’un très haut niveau, et chacun donne de sa personne, sans retenue, tant vocalement (et magistralement) que dans leur interprétation où l’excès n’est jamais outrée mais d’une grande justesse jusque dans la voix. Gerhard Siegel époustoufle en Herodes libidineux, Ekatarina Gubanova de même en Herodias, dépoitraillée et nymphomane, Johan Reuter est un Jochanaan hiératique et d’une grande profondeur. Et Lise Davidsen impressionne, acquise à cette mise en scène singulière et âpre, à ce personnage qu’elle investit totalement, corps et âme. Entre la glace et le feu, vocalement c’est foudroyant. L’amplitude dramatique de sa voix, faisant fi d’ambitus vertigineux, ne lui interdit nullement un sens de la nuance extrêmement précis et un instinct dramaturgique inouï. Une Salomé d’anthologie ? sans nul doute. Le reste de la distribution est au diapason de cette excellence, tous conscients d’une mise en scène certes spectaculaire dans sa présentation mais surtout au plus prêt de cette partition exacerbée, interprétée à vif, leur offrant une vérité troublante, loin de toute prétention ou spéculation fumeuse de mises en scène oublieuses de son sujet.

 

© Charles Dupret -OnP

 

Salomé, drame lyrique en un acte, musique et livret de Richard Strauss

D’après Oscar Wilde, dans une traduction allemande de Hedwig Lachmann

Direction musicale : Mark Wigglesworth

Mise en scène : Lydia Steier

Responsable de la reprise : Victoria Sitjà

Décors et vidéo : Momme Hinrichs

Costumes : Andy Besuch

Lumières : Olaf Freese

Dramaturgie : Maurice Lenhard

Orchestre de l’Opéra national de Paris

Avec : Gerhard Siegel, Ekatarina Gubanova, Lise Davidsen, Johan Reuter, Pavol Breslik, Katharina Magiera, Matthâus Schmidlechner, Eric Huchet, Maciej Kwasnikowski*, Tobias Westman, Florent Mbla*, Luke Stoker, Yiorgo Ioannou, Dominic Barberi, Bastien Thomas Khol, Alejandro Baliñas Vieites*, Ilanah Lobel-Torres

*membres de la Troupe Lyrique de l’Opéra national de Paris

 

Jusqu’au 28 mai 2024

Durée 1h40

 

Opéra-Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

 

Réservations : www.operadeparis.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed