Théâtre : « La Culotte » au théâtre Montparnasse, Jean Anouilh contre la guerre des sexes

Répète : « Je suis un porc. » « – Je suis un porc. » L’homme qui obtempère ainsi à l’injonction de son épouse Ada, Léon de Saint Pé, est pourtant membre de l’Académie française et chroniqueur au Figaro. Mais il n’est plus présentement qu’un esclave soumis, au poteau depuis plusieurs jours, les mains liées derrière le dos, attendant son jugement prochain par le Comité des femmes libérées du XVIe arrondissement.

Son crime ? Avoir engrossé la bonne. Certes, la domestique en question était peut-être consentante, mais invoquer le consentement pour justifier des relations sexuelles avec une employée est une circonstance aggravante dans le nouveau code pénal édicté par la révolution féministe. C’est que celle-ci, mettant à la “tyrannie phallocrate”, a accouché d’une dictature matriarcale où les femmes ont tous les droits, et les hommes essentiellement celui de se taire, sauf pour faire leur autocritique. Ou s’ils ont, comme l’avocat chargé de la défense de Léon, pris les devants en offrant l’ablation de leurs organes masculins en sacrifice expiatoire. Et c’est bel et bien la castration qu’encourt Léon de Saint-Pé s’il est reconnu coupable.

On jurerait que la pièce a été écrite hier

Avant-dernière pièce de Jean Anouilh, la Culotte a été créée en 1978, avec Jean-Pierre Marielle dans le rôle de Léon : mais on jurerait qu’elle a été écrite hier tant chaque réplique résonne étrangement à l’heure de #MeToo et de #Balance ton porc. D’une drôlerie grinçante mais jubilatoire, la pièce dénonce un féminisme devenu fou qui ne conçoit plus les rapports entre les sexes que sous la forme de la guerre, la victimisation qui permet en toute bonne conscience de se transformer en bourreau pour se revancher de dominations réelles ou supposées, une diabolisation qui rend la virilité systémiquement coupable (irrésistible tirade de Toto, le fils de Léon, qui explique tous ses échecs par l’ombre du phallus de son père…), la lâcheté généralisée propre aux époques dictatoriales, chacun ne pensant plus qu’à sauver sa tête – ou ses parties intimes…

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Repérée au cinéma dans le rôle-titre de Bécassine, Émeline Bayart a mis en scène cette farce comme un cauchemar fellinien, qui regorge d’invention. Avoir confié le rôle de la présidente du tribunal à un homme à la stature terrifiante souligne ainsi combien un certain féminisme peut détourner les femmes de leur être même. S’étant entourée d’une troupe formidable, ayant malicieusement entrecoupé le texte de chansons empruntées à un siècle de chanson française, Émeline Bayart compose elle-même une Ada à la fois monstrueuse et touchante, tant elle fait sentir que sa haine démentielle résulte d’un amour déçu et d’un désir torrentiel de tendresse insatisfait. Ruez-vous à cette pièce salutaire, qui console un peu de la bêtise de l’époque, ne serait-ce que pour saluer le courage de ceux qui ont choisi de la reprendre – un choix qui, selon le mot même d’Émeline Bayart, est « culotté ».

“La Culotte”, de Jean Anouilh, Théâtre Montparnasse, Paris XIVe, jusqu’au 30 juin.