Quand un médecin anglais découvre le mode de transmission du choléra, en 1854 | Historia
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Quand un médecin anglais découvre le mode de transmission du choléra, en 1854

Des dizaines de personnes sont en ce moment touchées par le choléra à Mayotte, la maladie ayant causé la mort d'un enfant de 3 ans. Au XIXe siècle, alors que l'épidémie faisait rage en Angleterre, le médecin John Snow s'est lancé dans une enquête pour découvrir son mode de transmission. Une méthode de dépistage qui donnera naissance à une nouvelle discipline : l’épidémiologie.

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(Antoine Moreau-Dusault)

Par JEAN-NOËL FABIANI

Publié le 14 mai 2024 à 13:57Mis à jour le 17 mai 2024 à 10:13

Cet article est issu de la rubrique « histoire sur ordonnance», signée par le professeur de médecine Jean-Noël Fabiani-Salmon, à retrouver chaque mois dans le mensuel d'Historia. Le prochain numéro est à découvrir en kiosque dès le 23 mai.

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Qui est John Snow ? Quand on pose la question aujourd’hui, il faut plutôt s’attendre à entendre citer le héros homonyme d’une série télé à succès. Il s’agit pourtant aussi d’un des médecins les plus prestigieux d’une Angleterre qui n’est pourtant pas avare de grands médecins, de William Harvey (1578-1657) à Alexander Fleming (1881-1955) en passant par Edward Jenner (1749-1823). Ce John Snow si peu connu est le premier à avoir pratiqué un accouchement sans douleur, découvert la cause du choléra et inventé une nouvelle science, l’épidémiologie. Un palmarès passé aux oubliettes de l’Histoire ! John Snow commence sa carrière comme spécialiste d’une discipline naissante : l’anesthésie. On fait appel à lui lorsque la reine Victoria souhaite accoucher sans douleur de son 8e enfant en 1853. C’est un succès total. La carrière de John est faite. Tout le destine à devenir le consultant de la reine et de la plus haute société d’Angleterre. Pourtant, c’est dans le quartier de Soho qu’on le retrouve, là où s’entassent les émigrants les plus pauvres, les petits commerces et les bordels !

La mort inéluctable à brève échéance

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Car il est persuadé que sa mission est d’apporter l’hygiène et la tempérance aux classes populaires, dont il est lui-même issu. Quand il s’installe au 54 Frith Street, son destin est déjà scellé : le choléra est à nouveau apparu dans la baie du Bengale et l’épidémie s’est mise en branle au train des soldats et des voyageurs qui se déplacent sur les navires de l’Empire. À la fin de l’été 1854, elle frappe son quartier, et Snow assiste en direct aux horreurs du choléra sur ses patients : cette diarrhée brutale, incontrôlable, en « eau de riz » qui vide le corps en quelques jours, ces vomissements épuisants et douloureux, cette déshydratation intense sans qu’aucune boisson puisse être acceptée, rendant la mort inéluctable à brève échéance.

L’idée ambiante veut que les miasmes inhalés en soient responsables. Pour comprendre, il faut imaginer les quartiers populaires de Londres à cette époque : l’eau courante n’existe pas, les sanitaires manquent et les déjections humaines sont déversées dans des cloaques (sortes de fosses creusées sous les habitations), si bien que l’odeur ambiante est abominable. Ainsi la théorie médicale qui veut que le mal soit porté par les miasmes, impuretés de l’air ambiant, est sans difficulté accréditée par la perception générale. Mais Snow raisonne en tant qu’anesthésiste, qui sait comment les gaz circulent dans le corps.

Une découverte sans grande pompe

Il a déjà pratiqué des autopsies sur les morts du choléra : il a noté qu’il s’agit d’une maladie digestive et que les poumons des malades sont plutôt épargnés. Encore faut-il le prouver. Snow, en son for intérieur, est persuadé que l’eau est le vecteur responsable du choléra. Il réalise donc des prélèvements sur les pompes de Soho. Mais ses observations au microscope ne donnent rien : l’eau semble limpide… Pourtant, comme 127 personnes sont mortes les trois derniers jours, il faut agir vite. Snow se lance alors dans une véritable enquête policière, faisant du porte-à-porte dans les rues du quartier pour établir, dans chaque habitation, le registre de ceux qui sont tombés malades et sont décédés. Puis il a l’idée géniale de reporter ces données sur une carte. La vérité de la propagation du mal lui saute aux yeux : tout part d’un coin de rue, à l’angle de Broad Street et de Cambridge Street. L’épidémie s’atténue à mesure que l’on s’en éloigne. Or, que trouve-t-on à ce coin de rue ? Une pompe à eau, celle de Broad Street, où tous les habitants du quartier viennent remplir leurs seaux.

Après bien des discussions – et quelques engueulades où il sait manier la menace –, Snow parvient à convaincre les autorités de démonter le bras de la pompe. Dès lors, l’épidémie de choléra cesse. Même si cette maladie a tué plus de 500 personnes en une semaine, c’est une immense victoire pour le praticien. Il a en effet trouvé le moyen d’arrêter l’hécatombe. La vie peut reprendre doucement son cours dans les ruelles de Soho. Snow compile alors tous ses travaux dans un livre pour faire partager sa découverte. Mais il n’a pas l’écho attendu et meurt trois ans plus tard sans avoir été compris. Avec sa carte, il venait pourtant d’inventer une nouvelle science : l’épidémiologie.

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