Accès au lycée : comment l’Éducation nationale lutte contre l’autocensure d’élèves de quartiers défavorisés de Nîmes

Les élèves de 3e de Romain-Rolland, collège nîmois implanté au milieu des barres du chemin bas d’Avignon, vont faire une immersion, d’ici la fin de l’année, dans les bâtiments classés du lycée Daudet. Pendant deux heures, ils seront répartis par deux en classe de seconde puis déjeuneront à la cantine. Quatre professeurs de français de ce collège REP+ ont participé le 26 avril dernier à des oraux blancs de français dans ce lycée du centre-ville. "Il faut déconstruire les représentations, travailler sur l’ambition des élèves, leur montrer qu’ils peuvent accéder au lycée Daudet et au-delà à l’enseignement supérieur", soutient Sophie Béjean, rectrice de l’académie de Montpellier, interrogée par AEF info, le 6 mai.

Des demandes de dérogations pour fuir un lycée réputé

Avec un taux à 61,4 en 2023, Romain-Rolland est le collège qui possède l’IPS le plus faible de l’académie. Son lycée de secteur, Daudet, a un IPS (1) de 115. C’est le lycée public nîmois qui a le plus haut IPS. Or, certains collégiens du QPV du chemin bas d’Avignon appréhendent d’aller dans ce lycée réputé, ayant un taux de mention Très bien au bac de 65 %. Ils visent plutôt Philippe-Lamour, un lycée géographiquement plus proche ayant 99,6 d’IPS et ayant un taux de mention Très bien de 55 %.

Nacéra Belkaïd a découvert le phénomène en janvier 2020, quelques mois après avoir pris la direction du collège Rolland. Quand elle reçoit les élèves de 3e pour un entretien d’orientation, la moitié de ceux qui devaient aller en seconde GT lui disent qu’ils souhaitent aller à Lamour, pas à Daudet. "Les professeurs m’ont dit que c’était la proportion habituelle de jeunes qui demandaient cette orientation depuis plusieurs années, témoigne-t-elle auprès d’AEF info le 2 mai. Le discours des élèves était 'Daudet, c’est trop dur. Ce n’est pas notre place’". Dans son précédent établissement, à une vingtaine de kilomètres de Nîmes, des élèves demandaient au contraire "toutes les options possibles" dans l’espoir d’obtenir une dérogation pour Daudet.

Mettre en confiance les familles

"Les familles modestes, soit dans les QPV, soit dans les territoires ruraux manquent parfois d’ambition. Il y a tout un travail à mener pour établir un lien avec les familles et leur donner confiance en l’école", analyse Sophie Béjean. Elle souligne que Romain-Rolland, collège de 330 élèves, a justement adopté une "vision systémique" permettant cette mise en confiance. La principale intervient auprès des CM2 pour mettre en place les meilleures conditions d’accueil au collège et développe des partenariats pour prendre en compte l’élève dans et hors du collège (lire sur AEF info). Le collège lutte contre décrochage et absentéisme. "Il y a tout un travail sur les compétences psychosociales, sur le savoir-être, les capacités à s’exprimer, qui est mené", ajoute Sophie Béjean.

En 3e, la principale reçoit chaque élève pour un rendez-vous sur l’orientation où elle leur dit "de s’autoriser à aller au lycée Daudet". Hélène Martinez, proviseure adjointe du lycée, tient le même discours. "Les élèves venus de Romain-Rolland ont parfois un sentiment d’usurpation, confie-t-elle le 3 mai à AEF info. Lors de la réunion destinée aux familles le 26 mars, j’ai insisté sur le fait que c’était leur établissement, que nous étions ravis de les accueillir, qu’il ne fallait pas laisser leur place ".

resserrer les Liens entre enseignants

Collège et lycée ont resserré leurs liens dans une Cordée de la réussite. Le 18 décembre, Hélène Martinez s’est rendue au collège avec un CPE et quatre enseignants. C’est suite à ces échanges que quatre professeurs du collège ont participé à des oraux blancs au lycée. Une expérience qui pourrait éventuellement être envisagée en histoire-géographie ou en langues. "Ces rencontres sont importantes pour que les professeurs de collège connaissent les attendus et puissent en parler aux élèves", ajoute Sophie Béjean. Collège et lycée travaillent aussi sur une autre piste : faire venir des enseignants du collège à Daudet fin août dans le cadre de "Vacances apprenantes".

Cette mobilisation paie. "Le collège Romain-Rolland commence à inverser la courbe des dérogations. C’est tout à fait positif", estime Sophie Béjean. À la rentrée 2023, 50 % des élèves de 3^e de ce REP+ ont été affectés en seconde GT, 31 % au lycée Daudet, 8 % au lycée Lamour, les autres sur des options dans d’autres établissements du centre-ville.

Lutter contre le sentiment d’usurpation

Daudet a donc accueilli 23 élèves du chemin bas d’Avignon en seconde à la rentrée 2023. Les élèves de ce QPV s’adaptent-ils facilement aux attendus du lycée ? Hélène Martinez pointe des problématiques de codes et de charge de travail mais aussi de belles réussites, comme cette élève ayant intégré une CPGE. "Souvent ceux qui réussissent sont les plus autonomes, ceux qui osent poser des questions", décrypte-t-elle. Ils peuvent, comme n’importe quel lycéen de Daudet, bénéficier du dispositif "Je réussis au lycée". En 1re, beaucoup rejoignent la voie technologique. Cette année, le lycée scolarise 14 "anciens" de Romain-Rolland en 1re STMG et 8 en 1re générale. "Ils ont tendance à rester ensemble", constate Hélène Martinez. "Ce qui est difficile pour eux c’est qu’ils ont parfois l’impression de trahir, d’effacer ce qu’ils sont. L’objectif est de sortir de leur environnement, pas de renier leurs racines."

Jean-Louis Tourvieille, IEN de Nîmes, reconnaît qu’il y a un gros travail fait par l’Éducation nationale pour pousser les élèves à rejoindre Daudet mais qu’un des obstacles est la méconnaissance des familles. Pour que les parents découvrent Daudet le plus tôt possible, le spectacle de la chorale des élèves de maternelle du chemin bas a été organisé au lycée. Au moins 300 parents sont venus. "Le proviseur Pascal Lorblanchet et son adjointe les ont accueillis, précise-t-il. L’idée est que le lycée devienne un lieu banal très tôt." Il souhaite que ce genre d’action devienne un rendez-vous annuel, et aimerait que l’an prochain, Daudet soit inclus dans la liste des visites patrimoniales qu’effectuent les élèves de ce QPV en élémentaire.

Sophie Béjean estime que la cité éducative, étendue le 25 avril à l’Est de la ville (lire sur AEF info), aura "un effet d’accélérateur".