Paul Cluzet n’est pas là où on aurait pu l’attendre. À la différence de Roman Kolinka, Jules Benchetrit et Léon Othnin-Girard, ses trois frères, il n’envisage pas d’être acteur. Pourquoi ? « On m’a peut-être trop saoulé petit en me demandant si je voulais faire comme mon papa plus tard. Je pense que j’ai « twisté » dans  un esprit de rébellion. Et puis ça ne m’attirait pas plus que ça. J’ai toujours préféré écrire », analyse-t-il. Et quand l’heure est plutôt à l’autofiction, ce fraîchement trentenaire choisit, lui, la fiction. L’histoire du sensible Robert, un peu largué, un peu paumé, pas mal bourré, qui voit apparaitre dans ses moments avinés un certain Bobby, qui n’est autre que l’enfant qu’il a été. Convoquer l’enfance pour retrouver le goût de vivre et celui d’aimer, le roman alterne entre innocence et licence. Avec le grand amour en quête salvatrice. 

Un roman pour concrétiser 

Cela fait sept ans (le temps de la maturité) que Paul travaillait sur ce roman. « Je suis un peu branleur », glisse t-il, amusé, d’une voix musicale, un peu soufflée. Paul a donc toujours écrit. Des poèmes quand il avait quatorze ans. Être publié un jour lui semblait hors de portée, voire un rêve en sourdine. Son grand-père, Jean-Louis Trintignant, à qui il a fait lire les premiers chapitres de son roman, l’a pourtant encouragé. Quant à sa grand-mère Nadine, dite « Nana », écrivaine confirmée dont il suit aujourd’hui les traces, elle en a validé chacune des étapes. « Mais j’aurais pu écrire n’importe quoi, ils auraient approuvé, parce qu’ils m’aiment ! », objecte Paul Cluzet, premier à douter de lui.

Même s’il s’agit d’une fiction, on laisse des traces de soi

Un point qu’il a en commun avec Robert, le narrateur de  Bobby Nazebroque. Car comme tout premier roman, même s’il s’agit d’une fiction, on laisse des traces de soi. Presque malgré soi. Paul a choisi l’écriture (à moins que ce ne soit l’inverse), sans doute, comme le souligne Annie Ernaux, parce que, « Écrire, c’est d’abord ne pas être vu. » Avancer masqué. Ne pas être ramené à une ascendance dont la célébrité peut parfois sembler encombrante. « Par peur aussi de questions trop intimes, trop piégeuses, reconnait-il. Être le fils de mes parents est une fierté, bien sûr, mais peut-être qu’il y avait une nécessité de se distinguer, de ne pas avoir à en passer par là, une question d’ego… » Plus que de l’ego, sans doute faut-il y voir une volonté de trouver sa place. Une place à soi. Sans se couper d’une famille et de potes qui lui sont essentiels et dont il a mesuré l’importance pendant ses années australiennes. « Je suis parti vivre à Melbourne quand j’avais 21 ans, raconte-t-il.

Je me suis beaucoup inspiré d’une photo de moi sur le tournage de Victoire ou la Douleur

 Je ne suis pas chauvin, mais j’avais un tel mal du pays que je pouvais pleurer devant le Tour de France ! ». C’est donc naturellement que ceux qu’il aime habitent anonymement son roman. Comme ce discours d’un de ses personnages sur l’amour plus important que tout. Paul dit l’avoir emprunté presque mot pour mot à son père, François Cluzet, qui exprimait cela lors d’une interview. Quant à Bobby, le gamin, c’est lui enfant. Jusque dans sa description physique. « Je me suis beaucoup inspiré d’une photo de moi sur le tournage de Victoire ou la Douleur des femmes, un film de Nana (film sorti en 2000, avec Marie Trintignant dans le rôle principal, Ndlr), où je tiens le clap, avec la coupe Playmobil et les pantalons de velours qui grattent », se souvient-il. Comme Bobby, le petit Paul avait une très grande ambition. « Si je le rencontrais aujourd’hui, je lui dirais qu’il rêvait un peu trop fort, un peu trop haut… », souligne Paul.

Un personnage inspiré de sa propre histoire

Et derrière une gestuelle parfois nerveuse qui rythme ses propos, on devine la timidité, l’extrême sensibilité et la crainte d’être entrainé vers des territoires intimes. Trop intimes. Marie Trintignant n’est jamais évoquée frontalement. Et « clairement », comme il le reconnait, il a peur des questions à cet endroit. Mais comment ne pas voir dans la quête absolue d’amour de Robert, le narrateur de son roman, le traumatisme d’un enfant privé trop tôt de mère ? Paul avoue être lui-même traversé par cet idéal, façon grands romantiques du XIXè siècle. Et, avec pudeur et maturité, parle plutôt de cette forme de « dépendance affective plus importante que la norme peut-être… », qui est la sienne. Sur laquelle il travaille. On sent que le jeune homme a l’intelligence, l’entourage et les armes pour avancer. Il se dit d’ailleurs « gâté par la vie ». Et après avoir été souvent agacé de lire cela, reconnait le côté thérapeutique de l’écriture et la satisfaction du travail accompli. D’ailleurs, à la fin du roman, Bobby complimente Robert d’un « Pas si naze au final », dans lequel semble résonner la voix de l’auteur. Paul Cluzet s’est fait un prénom. La voie(x) est libre.