Chiara Mastroianni : « Dans "Marcello mio", je ne suis ni moi ni mon père »
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Chiara Mastroianni : « Dans "Marcello mio", je ne suis ni moi ni mon père »

Dans « Marcello mio» (sortie le 22 mai), de Christophe Honoré, Chiara Mastroianni incarne son père, monstre sacré du cinéma.<br />
Marie-Laure Delorme , Mis à jour le

Dans « Marcello mio », de Christophe Honoré, en compétition officielle à Cannes et qui sort le 22 mai, Chiara Mastroianni incarne ce père tant aimé. Confession grave et légère.

Elle se nomme Chiara Mastroianni et ­traverse une crise identitaire car, à chaque rôle, elle est renvoyée à ses parents. La fille de ­Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni se glisse alors dans la peau de son père, mort en 1996, pour oublier son mal-être. Elle s’habille comme lui, parle comme lui. Autour d’elle, c’est la stupéfaction. Dans le prodigieux « Marcello mio », sélectionné en ­compétition officielle du Festival de Cannes, chacun joue avec sa propre image.

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Chiara Mastroianni iconique

De ­Catherine Deneuve (en mère tentant de remettre, avec tendresse, sa fille sur des rails) à ­Benjamin Biolay (en ex-mari irrésistible, accompagnant son ancien amour sans jugement). Christophe Honoré a réussi un film d’une grande poésie sur l’absence, la passion du cinéma, la famille. Pour leur septième film ensemble, le réalisateur des « ­Chansons d’amour » (2007) offre à Chiara Mastroianni son plus grand rôle. L’actrice a déjà été couronnée d’un prix d’interprétation à Cannes, dans la sélection Un certain regard, pour son rôle dans « Chambre 212 », du même Christophe Honoré. Dans « Marcello mio », Chiara Mastroianni est iconique en fille essayant en vain de faire revenir son père à la vie.

On la rencontre dans un hôtel parisien. Elle parlera à plusieurs reprises de sa demi-sœur, Barbara Mastroianni, fille de Marcello et de son épouse Flora Carabella, disparue en 1999. Les larmes, les rires. Chiara Mastroianni aime les contrastes et les contraires.

 

Paris Match. Comment est né le projet de “Marcello mio”, l’histoire d’une actrice, Chiara Mastroianni, décidant de devenir le fantôme de son père, Marcello Mastroianni ?
Chiara Mastroianni.
Un jour, Christophe Honoré m’a appelée pour me présenter son projet de film : une actrice perdue entre deux films, Chiara Mastroianni, décide de vivre la vie de son père acteur, ­Marcello Mastroianni. Elle ne cesse d’entendre qu’elle est la fille de ses parents, et la disparition de son père constitue un énorme manque. Christophe m’a immédiatement prévenue qu’il souhaitait solliciter mes véritables proches : ma mère, mon ami d’enfance, mon ex. J’ai été intriguée. Dans sa pièce de théâtre, « Le ciel de Nantes », il m’avait confié le rôle de sa tante, et j’ai compris qu’il me demandait de lui confier mon père. Dans « Marcello mio », nous sommes tous des personnages de fiction inspirés de personnes réelles. C’est nous et ce n’est pas nous. Nous sommes des ­anamorphoses. Dans le film, je n’ai pas d’enfant alors que, dans ma vie, j’en ai deux qui règnent sur moi.

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 J’ai vu mes parents en couple dans des films, mais pas dans ma vraie vie 

Chiara Mastroianni

Vous jouez à être vous ou vous jouez avec votre image ?
Je fais partie des acteurs qui n’ont pas d’image. Il y a une scène au restaurant, avec Catherine, où je lui dis que disparaître me convient parfaitement. C’est vrai. Je fais le métier d’actrice pour ne pas être moi. Dans le film, il s’agit de quelqu’un qui tente de faire revivre quelqu’un. Je ne voulais pas être dans une quelconque forme d’imitation. Je ne suis pas touchée par la performance au cinéma. Dans ma vie, les images jouent un rôle important. Quand on a des parents connus, ils sont à la fois à vous et aux autres. Ils se sont séparés alors que j’étais enfant. J’ai vu mes parents en couple dans des films, mais pas dans ma vraie vie. Le cinéma est donc parfois, pour moi, le témoin de ma propre vie. Lorsque je rencontre des jeunes qui ne savent pas qui est ­Marcello Mastroianni, je suis atteinte personnellement car j’ai l’impression que mon univers entier va être englouti à jamais. Je suis bouleversée quand, lors d’une scène où l’on visite l’appartement où l’on a vécu, Catherine affirme que les gens oublient tout. Je ne veux pas que les gens que j’aime disparaissent.

Chiara Mastroianni, le 2 mai. En miroir avec son père : «Toute ma vie, on m’a dit que je lui ressemblais. »
Chiara Mastroianni, le 2 mai. En miroir avec son père : «Toute ma vie, on m’a dit que je lui ressemblais. » © M. Rouge

Vous retrouvez votre mère, Catherine Deneuve, pour la treizième fois au cinéma. A-t-elle été facile à convaincre ?
Elle n’était pas intéressée par le fait de jouer son propre rôle. Christophe a su la convaincre en lui expliquant que c’était à la fois elle et pas elle. Dans « Marcello mio », il mélange onirisme et réalisme.

Votre père est mort, en 1996, alors que vous aviez 24 ans. “Marcello mio” est-il un film sur la manière dont on surmonte l’absence ?
Comment se débrouille-t-on avec nos morts ? Dans « Marcello mio », une femme a perdu son père jeune et n’arrive pas à vivre avec son absence. Elle est ­hantée par son fantôme et tente de lui redonner vie. ­Christophe Honoré a choisi de traiter des thèmes lourds sur le mode de la comédie. Sur un ton léger, il nous dit que l’on ne peut pas faire revenir nos morts. Dans la vie, les contrastes me bouleversent.

 Quand il ne travaillait pas, mon père était en prise avec ses fragilités 

Chiara Mastroianni

Avez-vous été émue de jouer le fantôme de votre père ?
Je ne pouvais pas me permettre d’être émue. J’ai ressenti une immense liberté et j’ai tenu l’émotion à distance. Tout a été espiègle et ludique. Ce qui me relie profondément à mon père, l’aspect émotif, est resté au seuil de mon travail d’actrice. Chacun des personnages est dans l’autodérision. J’ai tout pris pour un jeu afin de ne pas me laisser envahir par l’émotion. On a retrouvé l’atelier qui a fabriqué le chapeau que porte mon père dans « Huit et demi », de Federico Fellini. J’ai été touchée. Mais je ne me regardais pas avec la lèvre tremblante et l’œil mouillé à chaque fois que je mettais le chapeau pour les besoins du film. Je suis suffisamment dramatique dans la vie pour ne pas l’être au cinéma. Je voulais éviter de tomber dans la nostalgie et le pathos. Il n’aurait pas été généreux de ma part de me servir du film comme d’une ­psychanalyse. J’ai voulu transformer l’émotion en quelque chose de vibrant et ne surtout pas être complaisante.

Avec ses parents, à la projection de «E.T., l’extraterrestre », en 1982. Chiara a alors 10 ans. Mastroianni et Deneuve se sont séparés lorsqu’elle avait 2 ans, mais restent en bons termes.
Avec ses parents, à la projection de «E.T., l’extraterrestre », en 1982. Chiara a alors 10 ans. Mastroianni et Deneuve se sont séparés lorsqu’elle avait 2 ans, mais restent en bons termes. Alamy/ABACA / © Alamy/ABACA

Dans son autobiographie, “Les scènes de ma vie”, ­l’actrice Marthe Keller parle de votre père : “En dehors des plateaux, il n’est plus tout à fait le même, il m’a dit un jour qu’il avait besoin de sa feuille de service pour se sentir bien.” Avez-vous, comme lui, besoin de votre feuille de service ?
J’adore les feuilles de service, car elles dessinent un cadre heureux. On y trouve toutes les informations concernant la journée de tournage à venir, comme les horaires et les lieux. C’est l’équivalent d’un ­antidépresseur pour moi. Il n’y a rien qui me rassure plus au monde que de savoir ce que je vais faire à telle et telle heure. Mon père est mort quand j’étais jeune, et il y a beaucoup de conversations que je n’ai pas pu avoir avec lui. Il détestait ne pas travailler. Le travail lui permettait de s’échapper de lui-même et ­d’échapper aux autres. Il en avait besoin. Il s’ennuyait quand il ne travaillait pas. À chaque fois que je le rejoignais durant les vacances scolaires, je priais pour qu’il soit en période de tournage. Il était alors plus disponible et sympathique que dans la vie de tous les jours où il se montrait ­davantage mélancolique et angoissé. Quand il ne travaillait pas, il était en prise avec ses fragilités.

 Christophe Honoré me fait dépasser mes peurs. Il a plus confiance en moi que je n’ai confiance en moi-même 

Chiara Mastroianni

Êtes-vous grave et rieuse, comme le dit votre mère ?
Ma mère me trouve trop anxieuse, mais nous n’avons pas eu la même vie. Les gens s’imaginent que je suis sinistre, mais j’aime beaucoup rire. Je lutte contre ma mélancolie. Après, peut-être que l’on va me retrouver dans un asile psychiatrique dans deux ans.

“Marcello mio” est votre septième film avec Christophe Honoré. Qu’est-ce qui vous unit ? Vous parlez tous deux, souvent, de la peur.
Christophe me fait dépasser mes peurs. Il a plus confiance en moi que je n’ai confiance en moi-même. J’ai perdu des gens que j’aime dans des conditions difficiles, et les choses ont changé pour moi. Je redoutais de faire du théâtre, mais j’ai pris conscience que la peur de voir les êtres que j’aime mourir surpasse de loin toutes les autres peurs. J’ai eu du mal avec le théâtre au début, mais après, j’ai éprouvé du plaisir. J’ai réalisé que jusqu’au bout, même passé 50 ans, on peut faire sauter des verrous. On me répétait qu’avec « Le ciel de Nantes », je faisais quelque chose que ma mère n’avait jamais fait. Mais je faisais surtout quelque chose que mon père avait fait. Je retrouvais mon père.

Avec une moustache et une perruque, elle prend le visage de son père à l’époque de «Divorce à l’italienne »
Avec une moustache et une perruque, elle prend le visage de son père à l’époque de «Divorce à l’italienne » © DR

Le film est-il aussi une façon de répondre à ceux qui vous ramènent sans cesse à vos parents ?
Christophe s’en amuse dans le film, comme dans la scène où la chaîne italienne organise un jeu où il faut trouver le vrai Marcello parmi les faux. On m’a demandé plusieurs fois de poser pour une série de mode dans la fontaine de Trevi, à Rome, où Anita Ekberg et mon père prennent un bain de minuit dans « La dolce vita », de Federico Fellini. Récemment, on m’a proposé de faire une publicité pour une savonnette en Italie. Je suis dans la maison de mon père, j’effleure les objets, je vois une savonnette sur le lavabo, j’ai ­soudain un flash-back de mon père se lavant les mains avec la savonnette. On me parle de mon père comme si ce n’était pas mon père et on oublie la violence de la situation.

J’ai adoré jouer un homme. J’ai l’air plus jeune en homme qu’en femme 

Chiara Mastroianni

Comment avez-vous vécu le fait d’être une femme jouant à être un homme ?
Christophe est un réalisateur moderne et libre. Il a toujours été au-delà de la question du genre. Dans « Le ciel de Nantes », son frère joue le personnage de sa mère. Dans « Marcello mio », je deviens un personnage non genré. Un être hybride, puisque je ne suis ni moi ni mon père. Mes seuls artifices sont la moustache et la ­perruque. J’ai adoré jouer un homme. J’ai l’air plus jeune en homme qu’en femme. J’espère ainsi décrocher des rôles de trentenaire et faire concurrence à Vincent Lacoste.

Derrière Catherine Deneuve, aux obsèques de Jane Birkin. Avec, à ses côtés, Benjamin Biolay. À Paris, en juillet 2023.
Derrière Catherine Deneuve, aux obsèques de Jane Birkin. Avec, à ses côtés, Benjamin Biolay. À Paris, en juillet 2023. Jacovides-KD Niko / Bestimage / © Jacovides-KD Niko / Bestimage

Le cap de la cinquantaine est-il difficile à passer pour une femme ?
Avoir 50 ans ne m’a pas amusée. Les choses ont progressé, grâce notamment à des actrices comme Kate Winslet, mais il existe moins d’opportunités pour les femmes de cet âge-là. Quand la crise liée au Covid a commencé, j’avais 48 ans, et quand elle s’est arrêtée, j’avais 50 ans. Je n’ai donc même pas pu profiter de mes deux années avant 50 ans. à cet âge, on commence à se demander combien d’années il nous reste. Mais j’ai gagné sur certains terrains : je suis plus sereine maintenant que quand j’étais jeune.

“Marcello mio” est présenté en compétition officielle de la ­77e ­édition du Festival de Cannes. Quelles seront vos pensées au moment de monter les marches ?
La montée des marches dure peu de temps. On s’y prépare longuement à l’avance. Plus on est vieille et plus la préparation demande du temps. Là, on est un peu dans « Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? », de Robert Aldrich, avec Bette Davis et Joan Crawford en fin de ­carrière. Mais durant la montée des marches, on pense surtout à sourire, à ne pas trébucher, à ne pas marcher sur la robe de l’autre.

Est-ce que cela n’a pas été particulièrement difficile de quitter votre rôle de Marcello après le tournage ?
Je n’avais jamais eu du mal à me séparer d’un personnage jusque-là. Quand on a des enfants et des animaux, le quotidien reprend vite ses droits. Il m’arrivait simplement d’éprouver la nostalgie de la fin d’une aventure avec l’arrêt d’un tournage. Les choses ont été plus difficiles cette fois-ci. J’ai regardé beaucoup d’interviews de mon père pour le film. J’y retrouve des bouts de notre vie. Quand elle vivait encore, je pouvais appeler ma sœur Barbara pour partager avec elle des souvenirs et lui poser des questions sur notre père. Barbara avait une très bonne mémoire et elle était une merveilleuse conteuse. Là, dès que je trouvais une photo ou une parole de mon père, j’avais un prétexte pour la partager avec Christophe. Je pouvais penser à mon père sans tristesse et parler de lui sans être lourde ou prétentieuse. Je ressentais moins ce manque énorme qui m’habite depuis sa mort. Tout le film a été joyeux, malgré la ­question ­centrale : comment développe-t-on notre lien avec des êtres que l’on a perdus ? On ne peut pas faire revivre les morts, mais, là, mon père n’a jamais été aussi vivant.

«Le film ne traite pas de l’entre-soi, mais du plaisir» Fabrice Luchini

Dans «Marcello mio », Luchini joue Luchini. «Un ange gardien », dit Chiara.
Dans «Marcello mio », Luchini joue Luchini. «Un ange gardien », dit Chiara. © M. Rouge

Christophe Honoré a beaucoup de charme et il n’a pas eu à me convaincre de tourner dans «Marcello mio». Une nuit, j’ai vu son film «Chambre 212» et je lui ai écrit pour lui faire part de mon admiration. Quelque temps plus tard, il m’a appelé pour «Marcello mio ». Le film ne traite pas de l’entre-soi, mais du plaisir. J’ai été touché par l’atmosphère d’indulgence qui y règne. « Marcello mio » est raffiné, aimant, absolument pas intellectuel. Tout y est prétexte à comédie.

Qu’est-ce que le réalisateur a capturé de moi pour mon personnage? Je n’ai pas de moi-même l’image d’un ami idéal. On a tendance à se juger sévèrement. On peut dire que l’on est « une merde », avec un plaisir masochiste, sans que cela soit un acte d’humilité. On peut passer quarante ans sur un divan à expliquer que l’on est « une merde » et donc à parler de soi encore et encore. Le talent de certains créateurs est d’éclairer des parties de soi que l’on ignorait.

J’ai aimé chacun des acteurs, même Benjamin Biolay, alors que sa pensée progressiste n’est pas la mienne. Je suis trop âgé et pessimiste pour croire à toutes ces lubies. J’ai retrouvé Catherine Deneuve, avec qui j’avais tourné dans «Potiche ». Je l’adore. Elle est une extraordinaire actrice, avec une immense intelligence. Elle est reliée à elle-même. «Moi, je suis intact », écrit Rimbaud. Catherine Deneuve est restée intacte. Propos recueillis par M.-L.D.

 

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