EURYTHMICS, chronologie d’une pop austère et fascinante

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80’s : la décennie de Eurythmics ?

Eurythmics est un duo ayant marqué de son empreinte la décennie 80. Un faux couple, mais de vrais complices, dont la créativité résonnait alors comme une cold wave empruntant à tous les genres.

Eurythmics

Une grande chanteuse à la beauté androgyne, et un compositeur doué et énigmatique, c’est l’histoire du groupe Eurythmics.

Eurythmics – Missionary Man

Dave Stewart, natif de Sunderland (Angleterre), a déjà 24 ans lorsqu’il fait la rencontre d’Annie Lennox en 1976, dans un restaurant diététique de Hampstead (Londres). Ce multi-instrumentiste a pas mal bourlingué, et a même enregistré quelques titres sur le label d’Elton John. Le jeune homme est taiseux et marginal. Il vit dehors, de squat en squat, en quête d’un projet musical. Annie Lennox, elle, n’a que 22 ans et vient d’Aberdeen, en Ecosse. Avec ses longs cheveux bruns, cette jeune hippie sort d’une école de musique à la Royal Academy, mais doit se contenter d’un job de serveuse.

Séduit, Dave Stewart lui écrit un message sur la vitre embuée du restaurant :

“Veux-tu m’épouser ?”

Annie l’invite dans son petit appartement, et interprète l’une de ses premières compositions en s’accompagnant d’un harmonium. Sous le charme, Dave comprend qu’il a affaire à une véritable artiste. Leur relation démarre sous les draps… et se poursuit sur scène.

Eurythmics

Dave Stewart contacte alors Peet Coombes, un guitariste-chanteur avec lequel il a fondé un groupe de folk, quelques années plus tôt. L’heure est au punk rock et au disco, mais le trio baptisé The Catch publie des premiers singles de soul pop…

The Catch – Black Blood

Renommés The Tourists, ils publient même trois albums, avec un succès relatif. Seulement, le groupe est articulé autour de Peet Coombes. Ce dernier souhaite rester dans un schéma, vintage ou actuel, mais résolument rock.

The Tourists – So Good to Be Back Home Again (Top of The Pops)

Dave Stewart et Annie Lennox préfèrent fusionner les genres et se tourner vers l’électro et les musiques expérimentales.

On pense souvent que Eurythmics a connu le succès en tant que couple. C’est une erreur. Si la blonde à la voix sépulcral et le barbu génial ont eu une relation durant leur première expérience avec The Tourists, ils y mettent un terme juste après avoir quitté le groupe. Paradoxalement, c’est de leur amitié que va naître leur complicité.

“Notre idée d’une rupture était qu’Annie vive à l’étage, et moi en bas. Nous aimions nous retrouver pour le thé. Je ne connais aucun autre couple qui ait fait cela. Sonny & Cher ont fait l’inverse, ils étaient célèbres, puis ils ont rompu. Ce que nous avons vécu était insensé.” Dave Stewart

L’alchimie le reliant à Annie Lennox est telle que leurs premières compositions arrivent rapidement. Signés chez RCA, ils bénéficient des lumières du mage Conny Plank (Sweet Smoke, Kraftwerk), et sont soutenus par des pointures du métier tels que Holger Czukay (co-fondateur du groupe Can), ou le batteur Clem Burke (Blondie).

“Conny était si spécial. L’air était chargé d’expérimentations. Chaque jour, en franchissant la porte du studio, on avait le sentiment de pénétrer dans un nouveau paysage.”   Annie Lennox

Musique hypnotique, voix ténébreuse. Les débuts du binôme sont plus que prometteurs…

Eurythmics – Take Me To Your Heart

Eurythmics… Un nom puisé dans les méthodes pédagogiques suivies par Annie Lennox. Un duo à la fois glaçant et hypnotique, tant sur le plan sonore que visuel. Et qui n’hésite pas à teinter sa musique électro et parfois krautrock de sonorités psychédéliques et de lignes de basses puisées dans le funk et le rhythm & blues.

Eurythmics – Revenge

Malgré un premier album prometteur, In The Garden, et quelques bonnes critiques dans la presse spécialisée où l’on évoque une filiation avec David Bowie et Joy Division, le succès n’est pas au rendez-vous.

Eurythmics – All The Young (People of Today)

Pour la promotion, le duo s’épuise dans des tournées interminables à l’arrière d’un van. La difficulté renforce alors leur relation, qui devient un genre d’amitié passionnelle. Sur la route, chacun d’eux se perd dans des idylles sans lendemain, et toujours éclipsées par leur lien indéfectible.

Eurythmics – I Could Give You ( A Mirror)

Le taiseux Dave Stewart intériorise ses émotions dans des instrumentaux toujours plus pesants et lancinants. Quant à Annie Lennox, elle s’efforce d’expier à travers ses textes le sentiment de jalousie et la paranoïa inhérente à cette étrange relation. Un mal être générateur de grandes créations…

Eurythmics – Somebody Told Me

Au moment de composer l’album Sweet Dreams (are made of this), enregistré dans une ancienne église, Annie Lennox n’a pas le moral au beau fixe. Même si la complicité professionnelle avec Dave Stewart perdure, elle regrette la fin de leur idylle et le manque de réussite dans leurs projets musicaux.

De son côté, Dave Stewart vient de subir une opération chirurgicale délicate suite à un poumon perforé. Le compositeur se sent comme miraculé, et entrevoit l’existence sous un autre angle. Il commence à intégrer des sonorités cuivrées à ses compositions synthétiques, à même de révéler les influences soul de sa partenaire…

Eurythmics – The Walk

Sous le coup de leurs inspirations communes, progressivement le duo prend une autre dimension. La chose est visible en concert. Souvent nerveuse à leurs débuts, désormais dissimulée derrière un maquillage et un costume inspirés par son idole David Bowie, Annie Lennox occupe mieux la scène et laisse s’envoler les dernières brides retenant sa prodigieuse voix.

Eurythmics – This City Never Sleeps (Live 1983 – 1989)

En 1982, au cœur des studios Chalk Farm (Londres), entouré d’une batterie technologique, Dave Stewart est en quête de son premier tube. Il fourmille d’idées sur son synthétiseur analogique (Roland SH-101), pendant que Annie Lennox traîne son vague à l’âme.

Quand soudain, la chanteuse assise dans la pièce à côté l’entend jouer un riff accrocheur. Une ligne de basse qui la fait bondir de son siège et se précipiter dans le studio en criant :

– “ What the hell is that ?”
(Qu’est-ce que c’est que ce truc ?)

Spontanément, Annie Lennox vient se placer sur le synthétiseur polyphonique adjacent, et double le thème dans les aigus…

Les paroles de Sweet Dreams reflètent très bien l’état d’esprit des deux ex-amants. Annie évoque avec une froideur résignée, la fin d’une histoire et ses désillusions. Trouvant le texte trop déprimant, Dave y ajoute le passage : “Hold your head up, movin on”. Si bien qu’on peut considérer ce titre comme un dialogue entre deux protagonistes aux perceptions opposées.

Malgré l’insistance de Dave Stewart, leur label refuse pourtant de le sortir en single, trouvant le titre trop sombre. Il faudra attendre la bonne inspiration d’un DJ de Cleveland pour voir naître le premier tube du groupe Eurythmics. Au début de l’année 1983, en l’espace de quelques semaines, le titre grimpe simultanément en tête du Billboard américain et des charts anglais.

Pour l’anecdote, la version réalisée par Marilyn Manson en 1995 connaîtra les mêmes difficultés à s’imposer, le label jugeant peu judicieux vis-à-vis des fans d’opter pour une cover d’un groupe si éloigné de leur univers. Le vampire a tenu bon, bien lui en a pris. Sweet Dreams devient également le premier tube de Marilyn Manson.

Eurythmics – Sweet Dreams (are made of this)/ Live Sidney 1987

Sweet Dreams, un titre qui ouvre à Eurythmics les portes de la gloire, et des dance-floor. Sur l’album suivant, Touch, leur premier numéro un en Angleterre, ils ne dénigrent pas la chose, mais explore par le biais du beat new wave, une nouvelle manière d’exalter leur pop austère et fascinante.

Eurythmics No Fear, No Hate, No Pain (No Broken Hearts)

Cette musique robotique teintée de groove mélancolique devient leur marque de fabrique. De nombreux titres figurant sur leurs premiers albums auraient pu aisément garnir la bande-son d’un film SF de Ridley Scott.

Dans une interview accordée à Songfacts, Dave Stewart explique que créer une ambiance mélancolique dans ses chansons est une chose dans laquelle il excelle. Le titre Here Comes The Rain Again en est une belle illustration .

Alors que le duo séjourne à l’Hôtel Mayflower de New York, plombé par le temps maussade, Dave Stewart improvise sur son clavier un thème triste et majestueux, avec une étrange alternance de Si mineur et de Si majeur. Le regard perdu dans le vide, Annie Lennox s’approche de la fenêtre, et se met à chanter : “Here Comes The Rain Again…”. Leur deuxième tube est en route.

Eurythmics – Here Comes The Rain Again

Jouissant d’une popularité grandissante, Eurythmics se libère et réalise ses rêves. Ils sont notamment sollicités afin de composer la bande originale du film 1984 (adaptation du roman de George Orwell), dans lequel Annie Lennox fait même un peu de figuration.

Eurythmics – Sex Crime

En 1985, le groupe publie l’album Be Yourself Tonight. A cette époque la soul se meurt. Et même si lui ajouter des synthétiseurs n’est pas fait pour réchauffer son corps endormi, la voix d’Annie Lennox et son désir d’émancipation vis à vis de ses influences, possède quelque chose de touchant et parvient à susciter l’enthousiasme. Notamment avec ce clip d’une grande modernité ayant marqué les esprits…

Eurythmics – It’s Alright (Baby’s Coming Back)

Fortement influencée par la soul et les douceurs Motown des sixties, Annie Lennox y déploie un chant puissant. En particulier, sur le sublime hymne à l’amour There Must Be an Angel, où l’on peut entendre miauler l’harmonica de Stevie Wonder…

Eurythmics – There Must Be an Angel (Playing With My Heart)

Annie joint l’utile à l’agréable en écrivant un titre féministe 100% soul, destiné à Tina Turner. Mais la tigresse est très prisée, et c’est finalement la Queen of Soul, Aretha Franklin, qui en profite pour relancer sa carrière.

Eurythmics – Sisters Are Doin’ it for Themselves

Annie Lennox et Dave Stewart en profitent pour glisser un hommage aux reines du blues que furent Big Mama Thornton et Janis Joplin, dans un titre très électro mais pas dénué d’influences anciennes…

I Love You Like a Ball and Chain

En 1986, l’album Revenge, pourvu de quatre tubes (dont l’excellent Missionary Man), ne fait qu’accroître leur popularité. Car en cette époque qui se cherche un vrai courant musical, Eurythmics synthétise parfaitement les tendances actuelles. Sonorités new wave et culture rock, influences rétros (rhythm and blues et doo wop), et une dualité androgyne marquée par un look et un code vestimentaire ancré dans la modernité et le futur tendant les bras aux 80’s.

Thorn in my Side

Mais si la légèreté prédomine en ce milieu des années 80, ce n’est que pour masquer une inquiétude grandissante. Guerre froide persistante et catastrophes naturelles incitent de nombreux artistes à délivrer des messages de paix et d’amour. Une intention louable, pas toujours bien maîtrisée dans le texte, mais qui aura le mérite de freiner la ringardisation des slows chez les jeunes, et donc de rapprocher les coeurs (et les corps !), par le biais de quelques sublimes mélodies…

The Miracle of Love

Si cette période lucrative pour le groupe atteint des sommets en termes d’arrangements et de mélodies, on peut regretter l’intensité de leur entame glacée et mystérieuse. Mais les années 80 brillent également par leur fraîcheur. Il est donc bien normal qu’au plus fort de leur succès, nos deux larrons se soient laissé tenter par l’envie de célébrer des genres aussi optimistes que le rhythm & blues et la sunshine pop. Car au fond, même si les batteries sonnent un peu creuses, une bonne mélodie dispense de toute analyse…

When Tomorrow Comes

Durant les années 80, hormis quelques exceptions (comme The Cramps et les Rita Mitsouko), le concept de “duo mixte” avait tendance à devenir un argument de vente misant sur un romantisme susceptible de toucher les adolescents, plus qu’un choix résultant d’une véritable complicité.

Eurythmics

Pourtant, Eurythmics laisse le souvenir d’un groupe authentique. Durant les années 90, Annie Lennox et Dave Stewart, conscients d’être parvenus au bout de l’alchimie, marqueront une longue pause afin d’explorer d’autres domaines, et d’autres connivences. Avant de publier ensemble un ultime opus (Peace) en 1999.

Serge Debono

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