Salman Rushdie et la littérature : le verbe c’est sa tactique

Salman Rushdie et la littérature : le verbe c’est sa tactique

Salman Rushdie, à Francfort en 2023 ©Getty - picture alliance
Salman Rushdie, à Francfort en 2023 ©Getty - picture alliance
Salman Rushdie, à Francfort en 2023 ©Getty - picture alliance
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Après la terrible attaque au couteau qui lui a coûté un œil et de longs mois de convalescence en août 2022, l’auteur des Enfants de Minuit, des Versets sataniques ou encore de La Cité de la victoire, revient avec un nouvel ouvrage. "Le couteau. Réflexions suite à une tentative d'assassinat".

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Invité exceptionnel des Matins, Salman Rushdie s'exprime au micro de Guillaume Erner. Il revient sur ses influences littéraires, sa dernière histoire d'amour, et sur les événements qui ont failli lui coûter la vie en août 2022.

"Le Couteau", un ouvrage à l'eau de rose ?

Dans son dernier ouvrage, l'auteur revient sur sa relation avec sa cinquième femme, la poétesse Rachel Eliza Griffiths, au cœur de son rétablissement. "On m'a dit que le roman aurait dû s'appeler "Le Couteau : une histoire d'amour", sourit Salman Rushdie. Effectivement, c'est probablement l'aspect le plus inattendu du livre pour les lecteurs, mais il s'agit bien d'une histoire d'amour. Je crois que c'est la première fois que j'écris une véritable histoire d'amour, et qui finit bien en plus, ce qui n'arrive pas souvent dans mes livres ! Cela faisait cinq ans et demi que nous écrivions tous les deux cette histoire. Puis l'événement s'est produit et cet homme a essayé de transformer notre histoire d'amour en histoire de meurtre."

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Sur l'initiative de Rachel Eliza Griffiths, le couple commence à documenter le drame : "au départ, nous ne savions pas où nous allions, nous voulions juste conserver une trace de ce qui s'était passé, de ce qui était arrivé à mon corps. Eliza s'est chargée de tout : parfois, c'était une simple photo, d'autres fois des enregistrements de conversations ou une vidéo dans laquelle elle me posait des questions. Nous avons fait cela dès le quatrième ou le cinquième jour qui a suivi l'agression. J'étais encore en soins intensifs à l'hôpital, et nous avons continué tout le long de mon rétablissement. C'était d'abord quelque chose de très privé, puis, en écrivant le livre, je me suis demandé si le format documentaire n'était pas aussi légitime. Ce n'est pas pour demain, il faudra attendre au moins un an avant que cela sorte, mais ce sera rendu public."

7 min

Religion et réalisme magique : l'Inde au cœur de l'œuvre

Salman Rushdie n'a jamais coupé les ponts avec son pays natal, malgré le peu de soutien de la classe politique lors des attaques dont il a été la cible. Ses récits, ses légendes, et sa population, restent sa principale source d'inspiration."Pour moi, les racines du réalisme magique se trouvent dans la mythologie indienne. J'ai grandi avec ces récits fabuleux du Mahabharata et cela m'a montré que la littérature pouvait être une histoire merveilleuse, ne reflétant pas forcément la vie au quotidien. J'ai donc essayé de réunir les idées qui me venaient d'Inde avec celles que j'avais découvertes dans le monde littéraire occidental. La réception de mon premier succès, "Les Enfants de minuits", a reflété ce mélange : en Occident, les lecteurs se sont beaucoup intéressés au côté magique, tandis qu'en Inde, l'ouvrage a été considéré comme un livre d'Histoire." Il rend également hommage à ses racines à travers son usage de la langue : "tout comme il y a un anglais irlandais, un anglais américain ou un anglais antillais, je voulais trouver la version indienne de l'anglais. Son usage dans ce pays est très particulier, j'ai donc essayé de le traduire à l'écrit."

L'accueil du public indien est d'ailleurs celui qui touche le plus l'auteur, qui s'inquiète toutefois des dérives nationalistes actuelles : " l'Inde reste une source d'inspiration primaire. Mais l'Inde qui vit dans ma tête n'est pas l'Inde actuelle. Ma génération a grandi avec les figures de Gandhi, de Nehru, avec l'idéal d'un État séculier, cosmopolite, tolérant. Ces dix dernières années, avec la montée d'une politique forçant la voix de la majorité hindoue, au détriment du reste de la population, c'est de moins en moins le cas. Il y a une dé-laïcisation de l'État."

À voix nue
29 min

La disparition d'une génération ?

Marqué par les décès récents de ses amis Martin Amis et Paul Auster, Salman Rushdie s'interroge sur l'état dans lequel ils laissent le monde : "il y a des trous dans le monde, là où mes amis se trouvaient. C'est le drame de la vieillesse. Il faut apprendre à vivre sans eux. J'ai rendu visite à Paul Auster deux jours avant sa mort ; j'ai au moins pu lui dire au revoir. Un autre ami, Don DeLillo, est allé le voir le lendemain. J'ai eu le sentiment qu'il nous attendait avant de mourir."

Il regrette également la disparition croissante d'une certaine ouverture d'esprit, propre à sa génération et à celle de ses parents : "je ne vois pas pourquoi il faudrait protéger la religion de tout débat, de toute discussion. Cela peut sembler désuet, mais pour moi, ça tombe sous le sens. Les idées créées par l'homme doivent pouvoir être critiquées par l'homme. J'ai grandi avec une génération qui parlait de tout. Par exemple, si mes parents voulaient parler de la non-existence de Dieu dans le jardin, ils le faisaient. Cette ouverture d'esprit est en train de disparaître, et il est important de la protéger." Faut-il alors imaginer un prochain ouvrage sur le sujet ? "Je pense que je ne referai pas de non-fiction, affirme l'auteur. Je vais retourner au roman, même si je ne sais pas du tout de quoi aura l'air mon prochain livre."

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