Laetitia Dosch, à Cannes avec "Le Procès du chien" : "Mon film, c’est une comédie philosophique autour des femmes et des chiens" - Marie Claire

Laetitia Dosch, à Cannes avec "Le Procès du chien" : "Mon film, c’est une comédie philosophique autour des femmes et des chiens"

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Dotée d’un sens comique aigu, Laetitia Dosch n’a pas son pareil pour nous surprendre et, en grande touche-à-tout, se faufiler malicieusement entre les étiquettes souvent vite apposées pour qualifier les actrices. Mêlant avec bonheur fantaisie et gravité, elle présente à Cannes son premier film comme réalisatrice, "Le Procès du chien", à "Un certain regard". Interview.

Cosmos, un chien d’aveugle, risque l’euthanasie pour avoir mordu une femme au visage. Quand Avril, l’avocate suisse abonnée aux causes perdues que Laetitia Dosch interprète, accepte de défendre l’animal pour qu’il échappe à la peine de mort, commence alors un procès aussi improbable que mouvementé…

Une aventure qui, au-delà de sa puissance comique, ouvre la porte à de vertigineuses questions sur notre rapport à l’autre et à l’ensemble des êtres vivants.

Rencontre en terrasse cannoise, à quelques rues d’une Croisette enfin réchauffée par le soleil.

Une première réalisation remarquée par le Festival de Cannes

Marie Claire : Vous êtes souvent venue à Cannes comme actrice. Est-ce qu’être ici pour présenter votre premier film comme réalisatrice ajoute une pression supplémentaire ? Vous avez plus ou moins le trac que d’habitude ?

Vidéo du jour

Laetitia Dosch : Je dirais que ça me donne du courage et de la force parce qu'il y a toutes mes convictions dans ce film, et du coup je suis moins attachée à l'image, aux robes que je vais me mettre.

Certes, je me suis coupée les cheveux, mais je suis moins sensible à ce que l’on va penser de mon physique, ce qui parfois à Cannes peut être fragilisant.

Ce film, je l'ai dans le ventre. C'est quatre ans de ma vie, c'est tout ce en que je crois, tout ce que j'aime. Après, bien sûr, je ne sais pas comment il va être reçu...

Je suis préoccupée par ce qu’il se passe par rapport à l'écologie, au réchauffement climatique... Quand on crée avec ça, on reprend des forces, on se sent plus libre. 

Comment est née, et quand, votre envie de passer à la réalisation ?

J’écris des pièces de théâtre donc j'ai l'habitude d’écrire des histoires, c'est quelque chose qui est naturel. Cela aurait été plus difficile sans cela.

Et puis, je suis préoccupée aujourd'hui par ce qu’il se passe par rapport à l'écologie, au réchauffement climatique, on ne fait rien...

Je réfléchis depuis longtemps à notre rapport aux autres espèces, aux animaux. Et je m’intéresse également au féminisme, et à la place des femmes.

Ce sont des questions que je vis au jour le jour. Donc, je cherchais le "trou" pour en faire quelque chose d'artistique. Parce que quand on crée avec ça, on reprend des forces, on se sent plus libre, on se sent bien.

Une comédie pour inviter à la réflexion

Et cette idée un peu folle d’un chien jugé lors d’un procès, comment est-elle venue ?

Cela a commencé avec quelqu'un qui m’a raconté qu’il y avait eu un procès autour d'un chien qui avait mordu une femme, en Suisse. Une histoire qui a vraiment déchaîné les passions il y a une dizaine d’années.

Je me suis interrogée : si cela avait provoqué autant d’émotion, c’était sans doute parce que le statut animal n'est pas clair ni fixé. Le chien, dans la loi, est assimilé à une chose. C'est pour ça qu'on peut le manger, le détruire. Parce qu'on ne le tue pas, on le détruit, comme les choses. Or ce n’est pas une chose, donc ce statut n'est pas juste. Cela soulevait beaucoup de questions hyper importantes.

Je me suis dit :  il suffit qu'on mette le chien à la barre, qu'on arrive à prouver que le chien n'est pas une chose, mais un individu. Là, les gens vont devenir fous et dire qu’on ne peut pas juger un chien !

Ça crée une situation de comédie, qui peut justement permettre d’évoquer de nombreux sujets. Et aussi, il se trouve que ce chien ne mord que des femmes, donc ça crée des problèmes, un chien misogyne…

Avril, cette avocate que j’incarne et qui le défend, se reconnaît quant à elle dans le chien. Bref, cela pose tout un tas de questions et en même temps, c'est rigolo. Cela peut à la fois toucher les gens et faire réfléchir. 

Vous qui êtes habituée à écrire et mettre en scène au théâtre, la logistique et la lourdeur d’un tournage ne vous ont pas effrayée ?

Au début, on pense surtout qu’on veut faire un film qu'on a envie de voir. J’étais portée par cela. Ensuite, les questions arrivent les unes après les autres.

Je crois que du moment qu’on s’entoure de bons collaborateurs, et qu’on a une histoire forte à raconter, on peut y arriver.

Réalisatrice, c’est un métier, d’accord, mais cela ne s’apprend pas sans une bonne histoire qui vous porte.

Sur les films, les actrices sont des collaboratrices créatives, et pas des objets à modeler ou des figures de fantasmes ! 

Vous avez souvent tourné avec des femmes, Justine Triet (La bataille de Solférino), Léonor Serraille qui a gagné ici la Caméra d’Or en 2017 avec Jeune femme, Danielle Arbid (Passion simple). Qu'avez-vous appris d'elles ?

J’ai appris de tou.tes les réalisateurs et réalisatrices avec lesquel.les j'ai travaillé. Justine, elle m'a donné ma parole dans un certain sens, parce qu'elle m'enregistrait au tout début et elle réécrivait en m'enregistrant, donc je voyais comment je parlais, et ce qui pouvait être intéressant pour un personnage. Elle m'a donné des ailes.

Léonor, elle, avait une douceur avec les gens avec lesquels elle travaillait, une profondeur, une connaissance psychologique de ses personnages très forte.

Danielle, elle vous apprend la place du corps dans le plan. Elle est très photographique. Elle vous enseigne le corps, le visage, les axes, des choses très techniques.

Just Philippot (Acide) lui aussi m'a beaucoup appris sur la manière de tenir un plateau. Il met une ambiance de folie. Les gens sont tellement heureux de travailler avec lui. C'était vraiment un exemple à suivre.

Un "parallèle" avec ce que la société attend des femmes

Vous avez dit récemment dans une interview* que réaliser, c'était selon vous "reprendre la parole artistiquement", pouvoir dire des choses que vous n'aviez pas eu l'occasion d'exprimer jusqu'à présent. Lesquelles ?

J'ai l'impression que ce qui est en train de se passer, que ce soit avec #MeToo ou avec le nombre d’ actrices-réalisatrices qui se multiplie, c'est qu'on commence à comprendre que nous sommes créatif.ves, que les acteurs et les actrices ne sont pas des objets, mais des personnes qui ont un ressenti, et des choses à dire. C'est tout à fait naturel que quelqu'un de créatif passe à la réalisation.

On s'est rendu compte que les actrices avaient aussi besoin de dire des choses à elles, qui leur appartiennent. Sur les films, elles sont des collaboratrices créatives, et pas des objets à modeler ou des figures de fantasmes ! C’est en train d'être reconnu en France.

Je me réjouis des relations de travail qui vont s'instaurer maintenant entre les réalisateurs et les actrices. Après, qu'est-ce que j'ai à dire avec ce film ? J'ai à parler des femmes… Et pour résumer, je dirais que c'est une comédie philosophique autour des femmes et des chiens !

Être qualifiée de "décalée" est parfois réducteur car cela ne me permet pas d’être entendue sur le fond. 

Vous établissez en effet un parallèle entre le sort réservé aux chiens et celui réservé aux femmes… Expliquez-nous !

Ce rapprochement m’est apparu en me renseignant sur les chiens. Parce que les chiens, en l’occurrence, on les a modelés, choisis, sélectionnés… Ils viennent des loups, et on a pris les plus dociles, on les a fait se reproduire, on les castre aussi pour qu'ils restent tout le temps dépendants de nous. On a créé des puits à amour qui sont devenus nos partenaires de vie idéaux.

Alors oui, je ne peux pas m'empêcher de voir des parallèles avec ce qu'on attend des femmes. Il y a aussi le chien dans mon film qui essaye de retrouver son cri de loup et qui a du mal. Et cette femme, Avril, mon personnage principal, qui peine à trouver sa voix, qui se plaint toujours de ne pas arriver à parler comme elle est.

C'est un film qui parle des femmes qui n'arrivent pas à parler comme elles sont, qui cherchent leur place et qui la trouvent en étant convaincues de quelque chose. Et le film évoque aussi un chien qui essaie de s'émanciper de la place qui lui est donnée par notre société d'humains, où les chiens ne sont prévus que pour nous contenter.

À vos yeux, donner un statut juridique à ce chien qui a mordu, lui apporter la possibilité d'être défendu et jugé, c’est aussi un moyen de parler du respect de l’autre…

Oui, c’est aller à l’encontre de la société d’exploitation et de domination dans laquelle on est. Entre nous autres humains aussi, on s’exploite facilement : les femmes le sont, certaines classes sociales aussi, par celles qui sont au-dessus…

Pour revenir au chien, ce procès signifie qu'on ne le considère plus comme une chose. Mais je ne sais pas si on peut vraiment le juger quand même… Je ne crois pas !

La justice ne peut pas juger les animaux parce qu'on ne peut pas les comprendre. On peut les étudier, analyser leur comportement de façon scientifique. Mais on ne pourra jamais vraiment savoir qui ils sont. Et c'est justement ce mystère qui est hyper beau.

Est-ce qu'on peut le juger, ne pas le juger… C’est aussi de tourner autour de ça qui est drôle, et qui fait le ressort comique du film.

Les chiens, on les a modelés, choisis… Je ne peux pas m'empêcher de voir des parallèles avec ce qu'on attend des femmes.

Parlez-nous de votre personnage, Avril, cette avocate des causes un peu perdues… Est-ce qu’elle vous ressemble ?

C’est quelqu'un qui n'est pas totalement dans la norme. Même si je ne sais pas ce que ça veut dire vraiment, être dans la norme ! En tout cas, ce n'est pas une avocate qu'on juge brillante. Non pas qu’elle soit mauvaise, ni qu’elle plaide mal, mais c’est plutôt qu'elle ne peut s'empêcher de défendre tout le monde. Elle a un grand cœur. Je peux avoir un petit côté comme ça, oui !

Aussi, je partage avec elle le fait de sembler un peu à côté de qui elle est, de ne pas toujours trouver sa façon de s'exprimer. Et de finir par y arriver à travers une conviction, des idées qui vont vous donner de la force.

Artiste "décalée", un qualificatif réducteur

Quand on vous définit comme une artiste décalée, un peu loufoque, cela vous agace à la longue ?

Oui, c'est parfois un peu réducteur parce que ça ne me permet pas d'être entendue sur le fond. En plus, je ne le suis pas tant que ça. C'est marrant, je ne vois pas d'où ça vient, qu’on dise cela de moi.

Peut-être de votre côté touche-à-tout…Vous avez proposé des spectacles de théâtre très singuliers (dans Hate, elle jouait nue aux côtés d’un cheval, ndlr), ou encore Radio Arbres, des émissions pour des végétaux qui venaient se confier sur leurs problèmes… D’ailleurs, cette façon de passer d’un registre à un autre, c’est une manière pour vous de ne pas vous ennuyer ?

C'est important pour moi de changer de place. Actrice, c'est génial parce qu'on se met au service de quelqu'un, mais on est à attendre d'être au service de quelqu'un. Moi, je ne pourrais jamais ne faire que ça. Par ailleurs, s’attribuer des rôles, c'est quand même cool, parce que cela permet de défendre des choses importantes.

Je ne voyais pas comment faire autrement que d’incarner cette avocate. Pour moi, c’est comme Nanni Moretti, Louis C.K ou encore Phoebe Waller-Bridge avec sa série Fleabag… Si je veux partager ce que j'ai dans la tête, c’est normal que je sois dans l’histoire.

 Vous allez avoir envie d’en réaliser un deuxième ?

Oui, et je pense aussi que c'est très bien que je ne fasse pas que ça. Je vais d’abord travailler pour d'autres et laisser la prochaine histoire venir.

Quel est votre rapport aux animaux aujourd'hui ? Vous en avez ?

J’ai grandi avec beaucoup d’animaux. Mais j’ai du mal à avoir un animal à moi, je me sens mal à l'aise avec ça, l’idée d’en être propriétaire… Mais il se trouve que les animaux débarquent chez moi. Donc par exemple Jean-Paul, le chat du voisin, dort avec moi souvent. Quand je suis à la maison, il est au moins trois-quatre heures par jour chez moi, ou bien il vient pour la nuit. J’ai des "potes animaux", et cela me va très bien.

*Le procès du chien, de et avec Laetitia Dosch, avec aussi François Damiens, Jean-Pascal Zadi… En salle le 11 septembre 2024.

**M le Magazine du Monde, 10 mai 2024.

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