France - Danemark : trois mariages royaux pour le meilleur et pour le pire...

Par Philippe Delorme | 12 mai 2024, 09h00

 La princesse héritière Margrethe et son fiancé Henri de Laborde de Monpezat en 1967.
La princesse héritière Margrethe et son fiancé Henri de Laborde de Monpezat en 1967.© Mary Evans/Allstar/Morg/SIPA

Par son père, feu le prince Henrik de Danemark, le roi Frédéric X plonge ses racines dans le terroir occitan. Ainsi, après les Bernadotte de Suède, originaires de Pau, une seconde dynastie française (les "Monpezat-Oldenbourg") occupe donc un trône scandinave. Mais les relations entre les deux pays sont beaucoup plus anciennes. Pour le meilleur et pour le pire...

Veuf d’Isabelle de Hainaut, Philippe Auguste songe déjà à convoler en nouvelles noces. Aussi dépêche-t-il l'évêque de Noyon en  ambassade au roi Cnut VI de Danemark. Celui-ci accepte avec empressement et remet aux envoyés du Capétien "la plus belle de ses sœurs – à en croire le chroniqueur Rigord –, jeune princesse qu'embellissaient encore la sainteté et l'innocence de ses mœurs". Le mariage est célébré à Amiens, le 14 août 1193. Le lendemain, Ingeburge (ou Isambour) est couronnée reine. Mais, au cours de la cérémonie, Philippe Auguste est pris d'une inexplicable répulsion. Que s'est-il passé pendant la nuit de noces ? Philippe a-t-il été impuissant à s'acquitter du devoir conjugal ? A-t-il découvert chez sa nouvelle épouse quelque laideur intime, quelque vice secret ? Toujours est-il que, dorénavant, le roi prétend la renvoyer au Danemark. Ingeburge refuse avec dédain et exige d'être traitée selon son rang. Philippe n'en réunit pas moins barons et évêques, le 5 novembre, à Compiègne. Une annulation de complaisance est prononcée, sous le faux prétexte d'un lointain cousinage entre Ingeburge et Isabelle de Hainaut, la première épouse du roi.

Philippe II Auguste ; roi de France (1180–1223).
Philippe II Auguste ; roi de France (1180–1223). © akg-images

Ingeburge, qui ignore le français, vomit des imprécations dans un latin maladroit : "Mala Francia ! – Maudite France !" Sourd aux plaintes de la princesse en disgrâce, Philippe Auguste la claquemure au prieuré de Beaurepaire, entre Valenciennes et Douai, avant de la séquestrer à Soissons. Le 13 mars 1196, le pape Célestin III juge le divorce "illégal, nul et non avenu". Qu'à cela ne tienne ! Philippe Auguste ordonne la capture des ambassadeurs danois porteurs des bulles pontificales. Il les fait enfermer à l'abbaye de Clairvaux ! Le roi de France, s'estimant délié de ses vœux, épouse, le 1er juin 1196, Agnès – ou Marie –, fille d'un grand seigneur tyrolien, le duc Berthold de Méran – ou de Méranie. Aux yeux de l'Église, le roi de France est désormais bigame…

En 1198, l'élection d'un pape énergique, Innocent III, ravive le contentieux qui semblait presque éteint et jette l’interdit sur le royaume Philippe Auguste réplique avec une rare violence. Non content de maltraiter évêques, chanoines et clercs fidèles au pape, il enferme dans le château d'Étampes la malheureuse Ingeburge. Cependant, le conflit ne tarde pas à s’apaiser. En signe de bonne volonté, Philippe installe Ingeburge dans un relais de chasse, à Saint-Léger-en-Yvelines, tandis qu'il éloigne Agnès de Méranie, enceinte d'un second enfant. En mai 1201 un concile se réunit à Soissons, afin de réexaminer le procès en annulation, mais à la veille du jour où les cardinaux vont rendre leur arrêt, Philippe Auguste annonce qu'il se réconcilie avec Ingeburge. Grâce à cet habile subterfuge, le roi a éludé une seconde condamnation. En réalité, il enferme aussitôt la malheureuse Danoise à Étampes, tandis qu'Agnès de Méranie, sur le point d'accoucher, demeure au château de Poissy. La mort de la Tyrolienne, en août, rend caduque l’accusation de bigamie. Il faudra tout de même attendre 1213 pour que Philippe Auguste restitue pleinement à Ingeburge sa place et son statut de souveraine, mais jamais son affection...

Margrethe et Henrik, la princesse et le diplomate

Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’un nouveau mariage royal unisse Paris et Copenhague. Le 10 juin 1967, dans la Holmen Kirke, l’église des Marins de Copenhague, la princesse héritière Margrethe épouse Henri de Laborde de Monpezat.

Une belle princesse scandinave, un jeune et fringant diplomate du Midi… Leur romance aurait pu être écrite par Barbara Cartland. Elle inspirera d’ailleurs un feuilleton culte de l’ORTF : La demoiselle d’Avignon. Mais elle est pourtant authentique. Et elle a fait d’un Français le prince consort du royaume de Danemark.

Les fiançailles de Margrethe et Henri de Laborde de Monpezat
Le 5 octobre 1966, la cour de Danemark annonçait les fiançailles de la princesse héritière Margrethe avec le Français Henri de Laborde de Monpezat. © Pedersen Peer/ PolFoto/ ABACA

Le conte de fées a débuté au printemps de 1965, alors que Henri était chef de cabinet de l’ambassadeur de France à Londres. C’est à la faveur d’un dîner chez des amis, qu’il rencontre pour la première fois Margrethe, alors étudiante à la London School of Economics. L’idylle s’épanouit, entre l’Angleterre et le Danemark. Comme jadis la reine Victoria, comme Élisabeth II ou Beatrix des Pays-Bas – et ainsi que l’exige le protocole –, c’est Margrethe qui demandera la main de son futur époux. Issu d’une famille de la bonne bourgeoisie béarnaise, flirtant sous l’Ancien Régime avec la noblesse, Henri de Laborde de Monpezat, né à Talence en 1934, a passé sa prime enfance au Vietnam, où ses parents possédaient de vastes plantations de caféiers et d’hévéas. Chargé des affaires d’Asie au Quai d’Orsay, puis attaché à l’ambassade de Londres, il n’est encore qu’aux premiers échelons de la carrière. Ses fiançailles avec l’héritière du trône de Danemark, nouées le 15 juin 1966, elles ne resteront pas longtemps secrètes. La nouvelle est officiellement enregistrée par le parlement, le 5 octobre. 

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Les amoureux ne manqueront pas de s’écrire chaque jour, avant de se retrouver presque chaque week-end au château de Fredensborg, la romantique résidence d’été de la famille royale, au nord du Seeland. Margrethe s’offrira plusieurs escapades à Londres et Henri la rejoindra à Copenhague, où on les apercevra se flânant à Tivoli ou faisant les grands magasins. Avec tact, les journalistes danois respectent leur intimité, d’autant que le couple accorde des conférences de presse et répond volontiers aux interviews. La princesse et son fiancé inaugurent ensemble la nouvelle ambassade de Danemark à Paris. Ils vont aussi passer deux semaines en Grèce, où règne encore Anne-Marie, la sœur de Margrethe.

À mesure que se rapproche la date fatidique, les cadeaux les plus originaux et hétéroclites affluent au palais d’Amalienborg. En voici quelques-uns parmi des centaines d’autres : un piano à queue des États-Unis, deux juments offertes par le président islandais, quelques caisses de vieux cahors, une tapisserie de Lurçat, un collier de trois cents perles d’ambre, un antique meuble chinois, présent des parents Monpezat… Et afin que le couple tienne dignement son rang, le parlement lui vote une dotation annuelle d’un peu plus d’un million de couronnes – soit environ sept cent quarante mille francs de l’époque. 

Un simple mariage luthérien

Sept rois et reines, vingt-cinq altesses royales se sont réunies pour célébrer la joie de Margrethe et de Henri. Le ciel lui-même s’est mis à l’unisson, et un soleil radieux luit sur la capitale danoise. Malgré la simplicité démocratique de rigueur dans un royaume gouverné par les socialistes, un parfum de fastes et de tradition préside à la cérémonie. Pour les noces de l’héritière du trône, on observera le cérémonial édicté par son grand-père, le roi Christian X. Il est 16 heures lorsque Margrethe et son père, Frédéric IX, arborant son costume de grand amiral de la flotte, coiffé d’un bicorne à plumet blanc, arrive à la Holmen Kirke, dans un carrosse d’apparat noir, escortés par les hussards à cheval, en dolmans rouges et pantalons bleus.

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Tandis que la chorale entonne l’hymne de Giovanni Palestrina Sicut seruis desiderat , la princesse, au bras du roi, remonte la nef de l’église, fleurie de pieds d’alouette bleus. Sa robe de zibeline blanche, au corsage orné de dentelles anciennes, est prolongée par une traîne de cinq mètres. Son voile est retenu au front par un simple diadème de perles. Pour sa part, Henri, très ému, fatigué par les préparatifs, moins habitué au décorum, apparaîtra plus tendu. L’évêque Erik Jensen, dans sa longue robe noire à fraise blanche, aura beau prétendre qu’il n’y a qu’"à peine plus de fleurs, de musique et de jolis noms que pour les autres mariages luthériens", chacun mesure l’importance historique de l’événement. Et le couple qui sort aux accents d’une toccata de Charles-Marie Widor, a déjà conquis le cœur de ses futurs sujets. 

Le soir, lors du dîner de gala, au château de Fredensborg, Henri évoquera son bonheur dans le style d’Andersen, en esquissant le programme de son existence à venir : "Il y avait une fois un jeune Français qui habitait une maison en France, au milieu de parents affectueux et d’une kyrielle de frères et de sœurs. […] Au Danemark, j’ai trouvé mon second foyer. […] Margrethe, ma plus grande gratitude, c’est pour toi que je l’ai et c’est à toi que je dirai mes plus chauds remerciements. Pour ton caractère charmant et tes qualités profondes, pour ton aide en tout, pour tout ce que tu es. Être ton mari et t’apporter mon aide dans ta position, constituera mon plus grand bonheur et sera toute ma vie. Je désire, avec l’aide de ma femme, connaître rapidement mon nouveau pays et ses habitants, devenir Danois non seulement par l’effet de la loi et par mon nom, mais intégralement, d’esprit et de cœur."

Margrethe de Danemark et Henri de Monpezat le jour de leur mariage le 17 juin 1967
Dix jours de festivités! Célébré le 17 juin 1967, le mariage de Margrethe II et Henrik de Danemark est un des plus beaux mariages du gotha. © Scanpix Norway/ABACA

La réalité sera moins idyllique. Avant de faire le grand saut, Henri, catholique a dû renoncer à sa foi pour "épouser" celle de la fiancée – l’article 6 de la Constitution lui faisant obligation d’appartenir à l’Église évangélique luthérienne. Devenu "Son Altesse Royale le prince consort Henrik", il se plaindra souvent de son statut ingrat, au point d’aller parfois "bouder" sur son domaine de Caïx, près de Cahors. Ainsi, lorsqu’en 2002, la reine Margrethe, souffrante, s’est fait remplacer pour la cérémonie des vœux du nouvel an par le prince héritier Frederik, et non par son mari – au mépris des traditions –, ce dernier a exprimé haut et fort son ressentiment. Retiré de la vie publique en 2015, à cause de la dégradation de son état mental, Henrik s’éteindra le 13 février 2018, des suites d’une infection pulmonaire. Dix ans auparavant, son second fils Joachim, avait épousé une Française, Marie Cavallier, poursuivant une tradition traversée d’ombres et de lumières...

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