Le Deblocnot': R.I.P. Roger CORMAN (1929-2024) – Le roi du nanar US - La petite boutique des horreurs (1960) - par Claude Toon

lundi 20 mai 2024

R.I.P. Roger CORMAN (1929-2024) – Le roi du nanar US - La petite boutique des horreurs (1960) - par Claude Toon


Il y a quelques mois, j'avais emprunté en médiathèque un coffret de DVD réunissant une dizaine des films réalisés par Roger Corman qui vient de nous quitter à l'âge vénérable de 98 ans. Il n'avait de toute évidence pas trouvé l'un de ses savants fous qu'il affectionnait dans ses séries Z pour le rendre immortel… Il y avait quelques nullités (à mon sens), mais voici une perle, et même un film culte représentatif de l'univers de Roger Corman : fauché, farfelu, horrifique mais pas vomitif comme de nos jours …

- On y vend quoi dans cette boutique Claude ? Tu me fiches la trouille…

- Des fleurs Sonia, c'est un fleuriste un peu minable… mais une plante carnivore d'origine énigmatique et franchement gloutonne apparemment insignifiante sèmera l'effroi …

- Ah oui, comme les fameuses droseras qui mangent des insectes…

- Ahhhh, heu non, et elle n'est pas du tout végan, elle grandit vite… et franchement ma petite, surtout ne vas pas l'arroser…


La chambre des tortures
(avec Barbara Steele et Vincent Price)

Luc a déjà consacré un billet très fourni sur la carrière de Roger Corman. Luc, en cinéphile scrupuleux, avait choisi de commenter l'un des films les moins loufoques du bonhomme et sorti en 1962. Je cite Luc "THE INTRUDER (1962) fait presque exception dans sa filmographie. Un film sérieux, techniquement maitrisé, qui aborde de front un sujet sensible : le racisme." Corman militait à travers ce film contre le ségrégationnisme encore actif d'un ancien état confédéré. Sujet épineux, surtout à l'époque. Luc concluait par "un brûlot politique qui n’a rien perdu de son impact. Il dénonce la dérive du populisme, et 60 ans plus tard, même avec des moyens de communication modernes, ces rouages malfaisants et leurs conséquences restent d’actualité."

Je ne repasse pas le plat, je vous invite à lire l'introduction érudite de son article de 2020 (Clic).

En résumé, Roger Corman en quelques mots : premier film en 1955, dernier en 1990 en tant que réalisateur, une soixantaine de longs métrages tournés en parfois quelques jours avec des budgets minimalistes, des acteurs quasi amateurs mais dont au moins un deviendra un monstre sacré, des effets spéciaux risibles nourris au carton-pâte, au caoutchouc, et divers accessoires de bazar… Côté décor, ce n'est guère mieux : en extérieur ou dans des pièces récupérées après d'autres tournages… Un coup de peinture, un saut chez un brocanteur et hop… "Action" !


Voyage to the Planet of Prehistoric Women

Quelques titres sont représentatifs de l'imagination du gars qui osait tout, dont la carrière se devait d'être une marrade permanente, ainsi : L'Attaque des crabes géants. Au moins quatre films s'inspireront des nouvelles extraordinaires d'Edgar Poe, le puit et la pendule devenant La Chambre des tortures, et plus connus : La Chute de la maison Usher, Le Corbeau, Le Masque de la Mort Rouge. D'après un autre auteur : La Malédiction d'Arkham (relecture du petit roman flippant d'H.P. Lovecraft, l'affaire Charles Dexter Ward). Corman producteur ou réalisateur puisait allègrement dans la littérature gothique voire horrifique américaine, mais pas que. Citons un film de gangster en huis clos : Mitraillette Kelly avec le jeune Charles Bronson en tueur lâche… Il y aura des créatures E.T. à flinguer, quelques savants fous et des nymphettes préhistoriques au brushing blond impec et aux sous-tifs en coquillages… Etc. 

 

Avec Maggy, nous nous sommes trop marrés en visionnant un film culte : la petite boutique des horreurs. Je souscris à l'opinion de Luc, Roger Corman avec peu de moyen maitrisait son métier, évitant la niaiserie absolue de certains Godzillas nippons par exemple. La technique cinématographique, la direction d'acteurs, le rythme et les gags étaient sous contrôle.


Seymour, Mushnick et Audrey

Le mythe de la plante carnivore (anthropophage ?) est source d'inspiration pour les écrivains et les cinéastes depuis des lustres, de H.G. Wells dans "La floraison de l’étrange orchidée" à "L'orchidée noire", une aventure de Bob Morane de Henri Vernes et aussi une nouvelle de Arthur C. Clarke "L'orchidée réticente", sans compter une myriade de végétaux aliens tentaculaires et voraces dans des séries Z de S.F. des années 40-50. De quoi écrire une thèse 😊.

- Dis Claude ? pourquoi toujours des orchidées…

- Aucune idée Sonia, il faudra un chapitre spécial dans ladite thèse…  Sans doute mi-hommage et mi-plagiat entre écrivains… 

En 1960, Roger Corman chez qui les idées loufoques fleurissent énergiquement, imagine un scénario horrifique en forme de farce. Le script sera rédigé par l'un de ses complices attitrés, Charles B. Griffith (personnage admiré par Tarentino). Le projet est retenu et le réalisateur décide de tourner en intérieur la majorité des plans, à savoir dans un studio qui avait déjà servi à sa production précédente "A Bucket of Blood". La petite histoire prétend que ces décors furent construits bien avant à la demande de Chaplin qui ne les utilisa jamais… Corman dispose d'un budget de 27 000 dollars et d'un délai de quatre jours !


"à manger… à manger…, à mangerrrrrrrr
 

Avec un tel titre on anticipe facilement l'histoire démente à venir : la farce végétale saignante. Un jeune gars, Seymour Krelboined (Jonathan Haze), un peu benêt, la casquette vissée sur la tête et qui n'a pas trop la lumière dans toutes les pièces (sous la casquette), travaille pour un fleuriste minable et irascible, Gravis Mushnick (Mel Welles). Seymour est un gentil gars encore sous la coupe d'une mère hypocondriaque et poivrote (Myrtle Vail) et en pince pour une employée craquante et candide, Audrey Fulquard (Jackie Joseph).

 

Sans jeu de mots, les affaires ne sont guère florissantes dans le quartier misérable de L.A., Skidow (l'occasion d'un générique original et rigolo pour l'époque qui nous défile en travelling ce coupe-gorge dessiné à la plume) … Mushnick envisage de licencier Seymour car le Dr Farb, dentiste de son état est fort mécontent suite à une livraison ratée de glaïeuls disons… décapités 😁. Il faut avouer que Seymour est un prototype de Gaston Lagaffe par ses bévues surréalistes… Et comme Mushnick parle comme maître Yoda, inverse les mots, les quiproquos avec son employé  sont légion ("…tu vas m'obliger de mettre la porte sous la clé" 😣).

En cherchant une bande-annonce, j'ai eu la chance inouïe de dénicher le film dans son intégralité en VF sous-titrée en VO sur YouTube ! La qualité du report est exemplaire. Le film étant visible soit sur PC plein écran, soit sur la télé via un câble HDMI. Donc je ne spoile pas, pas trop mais voici un échantillonnage de péripéties singulières !!!


Une main, le pied viendra… puis le tout…
 

Seymour essaye de sauver son job en promettant à son boss la fortune de la boutique en exposant une plante étrange, fruit d'une graine importée soi-disant du Japon… Il y a des photos pour vous montrer la chose… En un mot, imaginez un avocat desséché dans une salade défraichie. Beurk… Seymour a le soutien d'Audrey et d'un client excentrique Burson Fouch (Dick Miller, un habitué de Corman ; il grignotera une douzaine d'œillets dans la boutique comme d'autres gobent des escargots, utilisant même une salière 😳). Mushnick cède et accepte d'exposer la plante, persuadé qu'elle crèvera, exigeant qu'elle se développe en une semaine… On découvrira qu'il faudrait plutôt la décrire comme deux demi-avocats, le cœur de la plante étant en réalité une double mâchoire façon bec de perroquet de calamar… et en plus, la créature… parlera. Non ? Si !

Seymour aime Audrey et surnomme son bébé végétal Audrey Jr.. Il veut l'empêcher de dépérir et essaye en vain tous les engrais, même ceux de NASA ?! Par hasard, au crépuscule, il se blesse et les gouttes de sang réveille Audrey Jr.. Seymour se saigne les dix doigts ; quand on aime… Le lendemain, Audrey Jr a sensiblement grandi, l'affairiste Mushnick est aux anges, prêt à promouvoir Seymour Prix Nobel de Botanique et surtout, une affichette en vitrine attire les curieux qui commencent à envahir la boutique…

Cela dit, dans la journée Audrey Jr se dessèche. Les rêves de fleuriste nabab de Mushnick s'envolent. Le soir, Seymour entend la plante réclamer "à manger… à manger…, à mangerrrrrrrr" Le monstre serait-il tyrannique et en plus doté d'un appétit insatiable et du don de parole ? Hélas oui ! Mais Seymour ne peut se laisser vampiriser… Découragé, il part et erre vers la gare provoquant accidentellement la mort d'un ouvrier… Aux grands maux les grands remèdes, le premier cadavre nourricier était la victime d'une bourde involontaire, mais les suivants ne le seront pas… De botaniste, Seymour qui n'a rien d'une brute culturiste (impossible de m'en empêcher 😊) devient criminel, pour engraisser la boulimique et monstrueuse Audrey Jr


Seymour aurait pu enlever les chaussures du dentiste…
 
 

Audrey Jr atteint vite l'obésité grâce à ces repas copieux : l'ouvrier, (une main, un pied, menu à la carte 😋😬), puis un dentiste, un cambrioleur, quelques autres… Des disparitions inquiètent la police… Audrey Jr est présentée à un concours organisé par une association d'admirateurs des fleurs californiennes présidée par la très snobe Mme Hortense Feuchtwanger (Lynn Storey) … Stop !

Corman enchaîne les gags, les sketches, les répliques acerbes à un rythme effréné. Tout le charme du film vient de ce voyage en absurdie jusqu'au bout de l'horreur qui de nos jours amuserait un collégien (apprenti cinéphile bien sûr). Considéré comme l'un de ses meilleurs films, on a le sentiment que Corman improvise en permanence… Et pourtant les péripéties répondent à une belle logique… J'arrête-là, ce film est dingue de drôlerie et d'inventivité insensée … L'humour juif subtil est omniprésent… 


- Dis Claude ? sur les affiches tardives et après sa colorisation lors de rééditions, on a l'impression que Jack Nicholson est la star, et tu n'en parles pas ?

- Jack Nicholson, alors en contrat de débutant avec la MGM pour diverses piges, commence à jouer des petits rôles à la limite de la figuration… Corman lui demande d'interpréter un patient givré du dentiste, croque-mort de son état, et qui a un TOC hyper masochiste : se faire arracher des dents sans anesthésie. L'acteur racontera qu'il devra improviser son texte… Un chouette souvenir pour lui que ce "cameo" avant l'heure qui n'apporte en fait rien d'autre à l'histoire qu'un sketch de plus et un portrait de cinglé comme si le film en manquait, hihi. L'image de Nicholson devenu un monstre sacré d'Hollywood fin des années 60  sera simplement exploitée pour doper les ventes de VHS… en le plaçant en tête de distribution…

 

La mise en scène copie celle du théâtre de boulevard (on ne quitte guère la boutique). Elle est digne d'un vaudeville grand-guignolesque qui deviendra culte grâce à ses dialogues poilants et ses personnages et situations qui renouent avec l'époque du burlesque. Les extérieurs ont été tournés en deux jours !

Frank Oz tournera un remake en 1986 avec Rick Moranis (Maman j'ai rétréci les gosses, SOS fantômes), le style d'éternel ahuri de l'acteur étant un casting adapté, le film intègrera une dimension de comédie musicale. 

On montera un spectacle scénique à Broadway et même en France. Je suspecte le regretté Franquin d'avoir brocardé ce délire cinoche pour dessiner l'une des plus terrifiantes tentatives de signature de contrat par Mr. Demesmaeker 😊. (Ci-dessous)



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