Klaus Mäkelä, qu’on a pu trouver parfois inutilement démonstratif dans les œuvres-mondes de Mahler ou Tchaïkovski, Strauss ou Scriabine, revient porte de Pantin se frotter à l’aîné de ces monuments : la Neuvième de Beethoven. Force est de constater que pour le bicentenaire de l’illustre symphonie, le directeur musical de l’Orchestre de Paris (et al.), effaçant toutes nos appréhensions, nous a pris à rebrousse-poil !

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Klaus Mäkelä à la tête de l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui / Pasco and Co

Certes, sa direction reste clairement identifiable à ses singulières marques de fabrique : usage du bas du corps (à rebours, semble-t-il, des préceptes de l’école finlandaise dont il est pourtant issu), emphase de la gestique, sympathique désinvolture dans cette façon bien à lui de cesser, le temps de quelques secondes, toute intervention auprès des musiciens ; peu de chefs peuvent se targuer d’avoir, si tôt, une signature aussi reconnaissable. On ne retrouve donc pas un Mäkelä transfiguré, mais plutôt étoffé, tempéré, plus patient. Les nuances dynamiques sont plus raisonnables, les allures sont plus amples, plus naturelles, et le geste est définitivement mieux développé. Où sont passées ces avalanches accablantes de décibels, ces timbres crus, ce technicolor orchestral qui naguère semblait gratuit ? Ce soir, on les redoutera inutilement !

Construit pierre après pierre, l’Allegro initial ne se dévoile que progressivement pour éclaircir l’épais brouillard de ces cordes en pianissimo, pour transpercer le mystère des rais ténus de la petite harmonie, pour rendre manifeste tout le conflit sous-jacent : l’implacable affrontement des ténèbres et de la lumière. Après le méditatif Adagio, la lutte reprend de plus belle dans le Presto initiant le dernier mouvement. Mais une fois installée, la lumière – et ce qu’elle implique de connaissance, de liberté, de vertu – triomphe dans un finale lui aussi patiemment construit : en dépit des multiples points d’orgue de ce mouvement qui n’en finit pas de conclure et de reprendre, comme un feu auto-entretenu et inextinguible, Mäkelä n’admettra qu’un seul véritable climax, parachevant le vaste crescendo que l’injonction du ténor à courir « tel le héros vers la victoire » avait déclenché.

Pourtant, on attendra en vain que résonne la joie fiévreuse de cette Neuvième qui n’aura fait qu’effleurer l’auditeur sans le saisir. Car ouvrager la grande forme, bâtir sur le temps long n’est pas suffisant : encore faut-il, afin de véritablement incarner l’enjeu métaphysique, faire vibrer l’architecture. Et c’est justement ce qui aura manqué ce soir. Car si chaque mouvement est pensé, construit, le souffle et l’élan vital restent quant à eux trop circonscrits, trop travaillés, trop artificiels pour faire déborder la musique dans le premier mouvement ou exalter l’âme dans le deuxième. Le Scherzo, dont on apprécie la finesse de la mécanique et le cliquetis des rouages, ne parvient pas à se débrider pour s’extraire de la petite ciselure ; l’Adagio et ses entrelacs ininterrompus se révèlent contraints, la rêverie pastorale guindée, presque insipide : le cantabile est là, mais quelle absence de profondeur dans les cordes, quel manque de structure dans les bois ! On attendait plus de vie et d’inspiration.

La faute revient également à un Orchestre de Paris sur la retenue : timbales sans mordant, cordes ni incisives ni creusées, bois peu charmeurs… Malgré son appréciable transparence, les vents n’étant jamais couverts par les cordes, la phalange manque ce soir de spontanéité, de conviction et d’envergure pour incarner pleinement le grand fiat lux qu’est cette Neuvième de Beethoven.

La vitalité viendra des forces vocales en présence, notamment du Chœur de l’Orchestre de Paris : conciliant ferveur et précision, souplesse et générosité, c’est lui qui emporte le public jusqu’au terme du Prestissimo conclusif. Avant cela, le rare Chant élégiaque du même compositeur aura également pu compter sur la bonne forme des troupes de Richard Wilberforce : enchâssant leurs propres polyphonies dans celles des cordes, les chanteurs auront apporté la lumière diffuse nécessaire à cette œuvre sombre.

À leurs côtés pour le finale de la Neuvième, le quatuor de solistes participe également de la réussite de cet ultime mouvement – en dépit d’un René Pape puissant mais pas très autoritaire. Remplaçant Mauro Peter à la dernière minute, le ténor Siyabonga Maqungo plie son intervention soliste avec panache, tandis que Catriona Morison réussit l’impossible ou presque, en rendant audible son alto ample et étoffé. Enfin, la puissance de son soprano n’excluant pas la souplesse, Angel Blue parvient à se sortir avec une rare élégance des ingrates pirouettes dont Beethoven a gratifié sa partie.

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