Judo : dans la tête de Romane Dicko avant les JO

La double médaillée de Tokyo détaille ses exercices de préparation mentale. Ainsi que les activités qui l’aident à ne pas vivre avant l’heure les Jeux de Paris.
Romane Dicko au Paris Grand Slam 2024, le 4 février.
Romane Dicko au Paris Grand Slam 2024, le 4 février. (Crédits : © LTD / Victor Joly/ABACAPRESS)

L'olympiade de Romane Dicko n'a pas été un long fleuve tranquille. En mai 2023, sa défaite au deuxième tour des championnats du monde à Doha (Qatar), alors qu'elle était tenante du titre, a été « un traumatisme ». Soudain, elle s'est vue tout perdre : sa suprématie dans la catégorie des plus de 78 kilos et, surtout, la sélection pour les Jeux olympiques. Pour une fois, on n'entend pas ce rire sonore qu'elle oppose comme un bouclier. « Je suis tombée de très haut, et vraiment très bas », confie la quadruple championne d'Europe, rencontrée dans un restaurant parisien fin avril.

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La concurrence est féroce au sein de l'équipe de France féminine de judo, la meilleure du monde. Certains choix ont été douloureux : entre Madeleine Malonga et Audrey Tcheuméo en moins de 78 kilos ; entre Romane Dicko et Julia Tolofua chez les lourdes. En ramenant l'argent de Doha, cette dernière pensait avoir pris un avantage décisif dans la quête du billet olympique. Le comité de sélection de la fédération (FFJDA) a temporisé et Romane Dicko est sortie gagnante d'une course contre la montre : ses victoires au Masters de Budapest, en août, puis aux championnats d'Europe, en novembre, ont fait pencher la balance de son côté. Meurtrie pour sa « copine » Julia, mais terriblement soulagée.

Depuis sa sélection, la Clamartoise de 24 ans a pris le temps de comprendre son échec aux Mondiaux. « Mon préparateur mental dit qu'inconsciemment j'ai fait exprès de perdre. » Avec ce spécialiste, conseillé par son club, le PSG, qu'elle consulte trois à quatre fois par mois, la jeune femme a sondé ses craintes intimes : « Plus je gagnais, plus je ressentais la peur de perdre. Car je ne savais ni comment j'allais réagir, ni si je serais capable de m'en relever. »

Un timbre et deux cases

L'analyse postérieure de ce jour noir a fait apparaître une anomalie : avant de chuter contre l'Italienne Asya Tavano, la Française n'avait pas ressenti le moindre stress. « C'était bien la première fois, s'étonnet-elle encore. J'ai tout fait pour étouffer ce sentiment au lieu de l'accueillir. Or, le stress signifie que j'ai conscience d'aborder une échéance importante. C'est donc un ingrédient de mon bon fonctionnement. » Savoir perdre en est un autre. « Avec cette contre-performance, j'ai cessé de vivre dans l'attente craintive de l'échec », remarque la cousine de l'ancien triple sauteur Teddy Tamgho.

Délestée d'un poids, Romane Dicko est encore plus redoutable. En 2024, pourtant affreusement entamée avec des messages racistes, sexistes et grossophobes reçus sur les réseaux sociaux après la publication d'une vidéo au côté de la danseuse classique Victoria Dauberville, elle a triomphé au Paris Grand Slam et au Grand Chelem de Bakou (Azerbaïdjan). Puis à celui d'Astana (Kazakhstan) le week-end dernier, ultime galop d'essai avant les JO pour ce qui la concerne.

Plus je gagnais, plus je ressentais la peur de perdre

Pendant des années, elle a été « la jeune qui monte », le pendant féminin de Teddy Riner ; à Doha, pour la première fois, elle avait un titre à défendre, acquis un an plus tôt à Tachkent (Ouzbékistan). Ce ne sera pas le cas à l'Arena Champ-de-Mars : il y a trois ans à Tokyo, la benjamine de l'équipe de France s'était passé une médaille de bronze individuelle autour du cou - plus l'or de la compétition mixte par équipes. Un poids en moins ? Pas forcément. « Même Teddy, qui a participé quatre fois aux Jeux, m'a dit : "Je ne sais pas à quoi m'attendre." » Rien à voir, en matière d'enjeux et d'attentes, avec les championnats d'Europe 2023 organisés à Montpellier et restés assez confidentiels.

Une certitude : la Francilienne, numéro un mondiale de sa catégorie, aura une grande cible dans le dos. « Appréhender et assumer le statut de favorite le jour J, c'est l'enjeu de la préparation mentale », placée sur le même plan que l'entraînement technique, c'est-à-dire des gammes à répéter. Des exercices de respiration ou de visualisation l'aident à mettre ses émotions à la bonne distance. Romane Dicko apprécie celui-ci : projeter l'image d'une adversaire sur un écran de cinéma et la réduire à la taille d'un timbre. Une métaphore pour « éviter de se faire une montagne » d'une rivale. Autre astuce pour circonscrire un souci avant qu'il ne devienne envahissant : imaginer deux cases, le présent à droite et le passé à gauche, et faire glisser l'objet de son inquiétude de l'une vers l'autre. Un outil considéré comme une « diversion » vis-à-vis d'elle-même.

La couture, son hobby de « vieille »

Pour s'occuper l'esprit, Romane Dicko ne manque pas d'activités. La plus studieuse d'abord : les mathématiques, qu'elle étudie à la Sorbonne pour devenir ingénieure en aéronautique. « Quand je dois résoudre une équation, sourit-elle, je ne pense plus à la qualité de mon dernier entraînement. » Plus ludique, sa pratique du surcyclage, qui consiste à transformer des objets pour leur donner une deuxième vie. Lors d'une visite chez son équipementier, la judokate a repéré un grand sac ; elle l'a rapporté chez elle et converti en un sac plus petit, qui l'accompagne dans ses sorties. « Un vieux jean taché ou troué peut devenir un top ou une veste, ça fait travailler ma créativité », décrit la fashionista, toujours à l'affût d'idées nouvelles sur les réseaux sociaux.

Mais sa grande passion, c'est la couture, « l'échappatoire idéale pour ne pas trop cogiter ». « Quand je me sens mal, précise-t-elle, je passe le week-end à coudre et ça va mieux. » Elle emporte sa machine à coudre en stage ou en compétition et remplace son smartphone par une aiguille pour occuper les nombreux temps morts. Malheureusement, impossible de la trimbaler jusqu'à la chambre d'appel, là où les athlètes patientent avant les combats.

Aux Jeux confinés de Tokyo en 2021, sa copine Sarah-Léonie Cysique, médaillée d'argent en moins de 57 kilos, lui a transmis le virus du crochet. Les aiguilles se glissent facilement dans un sac et s'utilisent partout, y compris dans les gradins, où le plongeur britannique Tom Daley avait été photographié en pleine séance de tricot. « Dans notre chambre au village, on avait l'air de deux vieilles, s'esclaffe Romane Dicko. Je disais à Sarah : "Tu te rends compte de ce qu'on fait de nos 20 ans ?" » Des points de couture, du bronze, de l'argent, de l'or, et c'est déjà bien. En attendant mieux ?

Clarisse Agbégnénou et Luka Mkheidze en chefs de fil aux Mondiaux

Une répétition de prestige dans une discipline qui doit rapporter gros. Neuf judokas français sélectionnés pour Paris 2024 s'alignent, à partir d'aujourd'hui et jusqu'à vendredi, aux championnats du monde à Abou Dhabi (Émirats arabes unis).

En tête de liste figure Clarisse Agbégnénou, qui espère glaner une septième médaille d'or mondiale - la double médaillée d'or à Tokyo n'a plus perdu dans cette compétition depuis 2015. Madeleine Malonga et Marie-Ève Gahié, toutes deux titrées en 2019, viennent affermir leurs repères à un peu plus de deux mois du tournoi olympique, tandis qu'Amandine Buchard vise un premier sacre individuel à ce niveau.

Côté masculin, Teddy Riner a longuement pesé le pour et le contre, avant de renoncer, vendredi, à se lancer à la conquête d'un douzième titre ; il devrait tout de même être tête de série aux Jeux. La meilleure chance tricolore s'appelle Luka Mkheidze, s'il est totalement remis de ses récents pépins physiques. Le premier médaillé français à Tokyo partage l'affiche en moins de 60 kilos avec Romain Valadier-Picard, en quête de revanche après ses championnats d'Europe ratés. Bronzé en 2023, Walide Khyar (-66) vise une nouvelle médaille mondiale. Pour Joan-Benjamin Gaba (-73), Alpha Oumar Djalo (-81) et Maxime-Gaël Ngayap Hambou (-90), un premier podium mondial individuel serait à la fois une divine surprise et un signal envoyé à la concurrence avant les Jeux à domicile.

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Commentaires 2
à écrit le 30/05/2024 à 14:10
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

à écrit le 21/05/2024 à 10:42
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Ah il faut bien reconnaitre que les JO qui associent toujours le sport amateur, la volonté, la détermination, avec le patriotisme avec les performances forment une sémantique particulièrement adaptée pour nous faire de superbes photos comme celle-ci....

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