Critique : La Belle de Gaza de Yolande Zauberman - BANDE À PART

La Belle de Gaza

Lumière dans la nuit

Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes, le nouveau documentaire de Yolande Zauberman fascine autant qu’il émeut. Par sa tentative de réconciliation de l’irréconciliable, par sa générosité humaniste, par son scintillement dans la nuit.

Yolande Zauberman est la reine de l’immersion quasi magique. Elle a le don d’approcher les êtres avec singularité. D’en capter une essence presque palpable. De saisir une humanité vibrante qu’elle va débusquer derrière les non-dits, les tabous, les interdits, l’impossible. Son approche documentaire relève du dévoilement. Caméra au plus près des visages, des peaux, entre enquête de reportage et virée romanesque. Les frontières se dissolvent pour raconter justement le dépassement des barrières et des territoires, et le questionnement des déchirements, par l’exposition de destins individuels. Après les fonctionnements sociétaux, culturels, raciaux ou conjugaux au cœur de Classified People en Afrique du Sud, et de Caste criminelle en Inde, elle continue de sonder les troubles humains en Israël, suite à Would You Have Sex With an Arab ? et M, qu’elle complète aujourd’hui par un troisième miroir nocturne.

La Belle de Gaza. Titre magnifique qui sonne comme une promesse. Comme une invitation au conte des mille et une nuits, au scintillement malgré l’ombre, au rayon de lumière dans l’obscurité, à l’espoir qui côtoie l’horreur. La cinéaste creuse l’impensable, l’insondable, à la recherche d’une possibilité de lien. Son geste même de cinéma est une main tendue, via son regard projeté, entre elle et l’autre. Ici, des femmes transgenres, peuplant une rue, mais aussi d’autres espaces, et dont certaines furent croisées sur le tournage de M. Elles racontent, toutes, comme dans un puzzle sororal, une part de destinée, et une part d’Histoire. Différentes générations, différents parcours, différents personnages. Mais toutes transmettent, par leurs mots confiés à la caméra, comme par leur présence et par leur corps affirmé, le rêve devenu réalité, celui d’affronter la vie par leur vérité. Et le chemin parcouru, existentiel, mental, émotionnel, physique, et parfois géographique.

La Belle de Gaza de Yolande Zauberman. Copyrights : Pyramide Distribution.

La fameuse « Belle de Gaza » est ici l’objet de la recherche de Yolande Zauberman. Trouvée véritablement ou pas ? Légende ou réalité ? Chacun, chacune, peut y projeter sa propre vision. Derrière le rimmel et le mascara, les pupilles acceptent la présence de l’objectif, tout en jouant du rire ou de la résille du voile. Comme souvent, l’important reste le voyage, pas forcément l’arrivée. C’est le périple palpitant et doux à la fois, dans les arcanes d’un Tel-Aviv opaque, car resserré sur les figures et les silhouettes de ces héroïnes des temps modernes, qui abolissent non seulement les lignes entre féminin et masculin, mais réunissent aussi Israël et Palestine, Juif et Arabe, ici et ailleurs. La démarche de la réalisatrice se veut pansement humaniste et lettre d’amour au milieu du marasme, filmés avant le 7 octobre 2023. Un acte du regard terriblement émouvant.

 

Olivier Pélisson