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Il était une fois… 25 ans d’Oxmo Puccino

Il était une fois… 25 ans d’Oxmo Puccino

Quelques jours après son concert à la Philharmonie de Paris, on s’est longuement posé avec Oxmo Puccino pour philosopher et retracer avec lui ses 25 années de carrière musicale.

« Il était une fois… » Toutes les belles histoires commencent par cet adage. Celle que nous nous apprêtons à vous raconter aujourd’hui, c’est celle d’Oxmo Puccino, une légende incontestée et incontestable du rap français. De son premier classique Opéra Puccino, sorti en 1998 jusqu’à aujourd’hui, le Titi Parisien du XIXème qui a commencé sa carrière au sein du mythique collectif Time Bomb a su élever le genre à un tout autre niveau, à une époque où beaucoup le résumaient encore trop souvent par « yo-yo ».

Cet élève assidu de l’école du texte fut en effet l’un des premiers MC’s français à donner une portée psychologique, philosophique, sociologique et universelle à ses mots, les rendant forcément plus profonds et davantage axés sur l’émotion. Il a beau figurer fièrement au Panthéon du game avec les autres pères fondateurs de ce bon vieux rap français, il a tout de même très vite cherché à s’en émanciper pour propulser son art au-delà de tout carcan artistique.

Et en récompense de toutes les explorations musicales qu’il a menées durant ses 25 années de carrière, Ox’ a finalement déjoué tous les pronostics en faisant résonner son œuvre là où personne ne l’attendait : dans l’enceinte de l’emblématique salle de la Philharmonie de Paris. À l’occasion de ces trois soirées événements organisées du 16 au 18 février 2024, nous avons souhaité le rencontrer et retracer avec lui l’intégralité de sa formidable épopée rapologique et musicale. Mais assez de long discours, la parole est au maestro Oxmo Puccino.

Crédit Photo : Tibaut Chouara

Jérémie Leger : Pour commencer, comment vas-tu Oxmo ?

Oxmo Puccino : Je vais bien. Non, je ne vais pas bien, je vais très très bien. C’est encore mieux !

JL : Il y a quelques jours, nous fêtions tes 25 ans de carrière et une première fois : trois jours de musique totale à La Philharmonie de Paris. Peux-tu nous représenter le programme ?

OP : Le premier soir, je n’ai pas joué, mais j’étais host. J’ai voulu mettre en avant des invités, des artistes que j’apprécie, que je respecte et qui méritent plus de lumière parce qu’ils n’ont pas encore une notoriété qui égale mon admiration pour eux. Il y avait Jarod, un artiste du 19ème qui pour moi est d’une excellence rare. Il y avait EDGE, lui aussi du 19, un rappeur/ chanteur envoûtant qui promet de nous faire découvrir encore beaucoup de belles choses. La rappeuse Leys aussi, c’est Madame autant par le respect et la générosité qu’elle offre à son public à la fois sur scène et en studio. Et enfin 404 Billy que beaucoup connaissent aujourd’hui, mais que je suis et admire depuis très longtemps. Le premier soir, j’ai pu être un spectateur privilégié de leurs performances.

Le second soir, c’était Bâtiment B, l’émission qui sera diffusée vendredi 17 mai à 23h sur France 2 et disponible en replay par la suite. J’ai profité de ce moment pour faire une rétrospective de ma carrière à travers mes rencontres, de mes débuts avec Busta Flex, Lino, K-Reen ou Dany Dan, jusqu’à l’année dernière et mes collaborations les plus récentes avec B.B Jacques, Sofiane Pamart, Jäde ou Jok’air. L’idée était de parcourir le monde tout au long de ma chronologie avec les meilleurs compagnons de route. Il y avait aussi de formidables musiciens, Vincent Payer et son groupe à la batterie, Ibrahim Maalouf à la trompette etc.

Le troisième et dernier soir, c’était mon concert avec mes principales formations, à savoir Yaron Herman au piano avec qui j’ai fait mon premier piano / voix, la formule DJ avec Monsieur Viktor et la formule avec mon band de musiciens de l’époque L’arme de Paix + Thomas de Pourquery.

JL : Ce soir-là, il y a aussi eu une belle surprise avec un duo magnifique entre toi et Vanessa Paradis…

OP : Vanessa Paradis, c’était le flocon sur la cerise du gâteau. Beaucoup de gens ont été surpris et moi le premier. Je n’avais jamais eu l’occasion de croiser le micro avec elle. C’était un beau cadeau car je ne pensais pas qu’elle pouvait être libre ce soir-là, sans parler du fait qu’elle n’était pas en très bonne santé. Elle avait beaucoup de raisons d’être absente, mais elle était là. Notre rencontre s’est faite en festival il y a quelques années et nous sommes restés en contact parce que vraiment, cette femme, c’est quelqu’un ! Je garde un souvenir magique de notre live partagé.

JL : Grosse surprise aussi, tu as joué pour la première fois sur scène avec Dany Dan, votre collaboration sortie en 1998, « Esprit Mafieux ».

OP : Une grande première oui ! Pour y arriver, on s’est rappelés précisément de l’état dans lequel on était au moment d’enregistrer le morceau. On avait tous les deux des souvenirs précis de ce que nous traversions à cette époque, de notre vie au contexte social. Ce morceau fait avec un ami, avec qui j’ai refait le monde cinquante fois, est une espèce de témoin de cette époque donc forcément, ça a donné quelque chose de fort, de très émouvant. Même si les paroles sont dures et font écho à des moments que tu n’aimes pas revivre.

JL : Ces trois soirées ont eu lieu il y a quelques semaines maintenant et j’imagine que tu as eu le temps de redescendre un petit peu depuis, mais qu’est-ce qu’elles représentent pour toi ?

OP : C’était forcément un week-end spécial parce que toute ma famille et mes amis, y compris des amis d’enfance étaient présents. Beaucoup d’émotions aussi parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas fait de concerts.

JL : C’est d’autant plus fort qu’en tant que rappeur des années 90, tu n’imaginais sans doute jamais jouer dans un lieu comme la Philharmonie de Paris, un lieu que tu as vu se construire de tes propres yeux d’ailleurs.

OP : Oui, j’ai connu et j’ai joué sur le terrain vague qui a précédé la Philharmonie. Avant, le seul espace de loisirs qu’il y avait au Parc de La Villette, c’était le fameux dragon du parc à jeux pour enfants. Tout autour, c’était de la terre battue. Ensuite, la Géode est arrivée, puis la rénovation de la Grande Halle. Plus tard, ce terrain vague est devenu un parking qui, encore plus tard, est devenu la Philharmonie. Tout ça, je l’ai vu de mes yeux. Je pense que personne ne peut s’imaginer jouer dans un tel lieu, c’est au-delà de l’imagination. Pour moi, ce moment était tellement inenvisageable quand j’y pense… Il m’a demandé tellement de travail et de concentration que j’en ai un souvenir onirique.

Comme je suis du genre à essayer de vivre uniquement l’instant présent, j’ai pu réaliser l’impact du spectacle que plus tard, au travers les retours que j’en ai eu, en rencontrant des gens qui y étaient et qui m’ont rappelé la valeur du moment. Ceci dit, je me rappelle tout particulièrement du moment où je suis sorti de scène. En voyant toute l’équipe avec qui je travaillais depuis un an sur ce projet, j’ai vu la satisfaction dans leurs yeux. Ça m’a donné l’impression, comme je le dis souvent, d’un décollage de fusée réussi.

JL : Quand bien même tu vis le moment présent, il est temps maintenant de repartir trente ans en arrière… Tu rentres dans le hip-hop à 13 ans, non pas par le rap, mais par le dessin, le graff et la danse sous le nom de Bore. Te souviens-tu comment tout a commencé ?

OP : Oui, j’ai commencé par dessiner et taguer dans le métro, mais j’ai fini par me faire arrêter et ma carrière de graffeur a pris fin prématurément (rires). Des années plus tard, je me suis mis à la danse parce qu’étant sportif (foot, arts martiaux), j’en avais les capacités physiques. On l’oublie souvent, mais la danse hip-hop demande une exigence physique et une discipline que seuls les sportifs aguerris pouvaient maintenir. Quand la mode du rap est arrivée et que tout le monde a voulu s’y mettre, moi j’étais encore à la danse. Je pratiquais avec mon cousin et deux trois potos. On allait toujours voir des compets à la Place Carré de Châtelet, là où les grosses équipes de danseurs s’entraînaient. Ça représente quand même trois-quatre ans de ma vie, entre 16 ans et 19 ans, jusqu’à ce que je commence à rapper. C’est là que je change de blaze à l’insu de tout le monde et je deviens Oxmo Puccino.

JL : C’est fou quand j’y pense, mais je crois ne t’avoir jamais demandé ce que signifie réellement ton nom d’artiste, Oxmo Puccino, tu peux m’en dire plus ?

OP : C’est un dessin, un amoncellement de cercles, de croix et de bâtons auquel j’ai donné une consonance. En fait, à chaque fois qu’une syllabe sonnait bien, je la gardais. Et comme si j’avais dessiné des formes, j’ai fini par les assembler. C’est de l’abstrait, il n’y a aucune signification particulière. J’ai trouvé un prénom, un nom de famille qui me plaisait et je suis devenu Oxmo Puccino.

JL : Et finalement, comment t’es tu mis au rap ?

OP : Quand le rap français a commencé à débarquer, j’étais plutôt dans le rap américain. Comprenant bien l’anglais, je voyais qu’il y avait déjà un gros décalage entre les deux, que ce soit en termes de flows, de musicalité et même de sujets. Du coup à chaque fois que je voyais un rappeur français sur scène, je me disais que moi aussi je pouvais le faire. Et à force de le dire, j’ai fini par m’y mettre. Comme ça a pris autour de moi, ça m’a encouragé et j’ai continué. Je dois aussi beaucoup à mon amie Nadine qui m’a mis à l’écriture. C’est une très grande amie qui faisait partie d’un groupe et qui m’a demandé d’écrire pour elle. C’est elle qui m’a mis le pied à l’étrier.

JL : J’ai d’abord pensé que tes premiers morceaux étaient « Pucc Fiction » et « Mama Lova », mais j’ai appris que la première fois que tu as posé, c’était sur le morceau « L’Argent Roi » du rappeur de Champigny S-kiv le Technicien.

OP : Oui ! C’est un artiste très talentueux et c’est lui qui m’a fait faire mon premier featuring sur son premier maxi en 1996. À cette époque, je ne savais même pas ce qu’était une mesure, pour te dire… Après ça, j’ai été pris en main par l’équipe D.Abuz System qui était déjà en indépendant, produisait des vinyles, des concerts et avait déjà un label. Ce sont eux qui m’ont appris à rapper, la prod et tous les rouages de la musique rap. Dans le même temps, je rencontre Ali avant qu’il n’intègre Lunatic, puis HIFI et Cassidy, avant qu’ils deviennent les X-Men. Les choses allant, tout ce beau monde se retrouve à rapper tous ensemble et me présente de nouveaux gars, dont Booba et Ill G qui font partie du collectif Time Bomb.

JL : De fil en aiguille, tu commences donc à traîner avec eux jusqu’à intégrer ce mythique collectif de rap français qu’est Time Bomb. D’ailleurs, si je ne me trompe pas la première fois que tu te poses pour eux, c’est toi qui leur as demandé ?

OP : Oui, sur le morceau « Les bidons veulent le guidon ». Au départ, on ne parlait pas d’enregistrer un titre ensemble. Simplement parce qu’on était un groupe et qu’il fallait faire la queue pour sortir un projet. Mais par rapport à tout ce que j’écrivais, moi ça ne me suffisait pas et j’ai voulu forcer le destin. Je suis donc allé voir Vinh, un compositeur hyper-talentueux qui habitait Gare du Nord et avec qui je bossais déjà avant Time Bomb. Il avait la mentalité hip-hop et avait une instru que je trouvais folle. J’ai fini par la proposer aux autres qui l’ont acceptée. On s’est donc retrouvé à Gare du Nord avec Booba, Ali, Hi-Fi, Ill, Cassidy et Pit Baccardi pour enregistrer ce morceau sans but aucun. Il n’allait pas sortir, ni faire de maxi, il allait juste exister. De base, il n’avait même pas de titre. Il a fini par sortir en pirate sans que je sache comment et les gens l’ont appelé selon le gimmick du refrain, « Les bidons veulent le guidon ».

JL : Tes premiers morceaux solos officiels sont finalement « Pucc Fiction » et « Mama Lova ». Ils sont apparus sur des compilations (L432 et Sad Hill), une sacrée époque que celle des compilations rap n’est-ce pas ?

OP : C’est l’époque qui a lancé l’âge d’or du rap français. C’était un peu le mercato avant le début de saison. C’est-à-dire que ceux qui ont réussi le transfert sont ceux qui ont eu la possibilité de faire carrière après, à condition de bien négocier les virages. Pour moi, ces morceaux sont le socle. Ils sont porteurs et révélateurs de ma carrière. À chaque fois que je chante « Mama Lova » encore aujourd’hui, je pense à quand je l’ai écrit, au moment où ma mère l’a découvert, à la notoriété que ce morceau m’a apportée et ça me renvoie toujours à l’époque de mes débuts.

JL : L’époque Time Bomb, c’est aussi et surtout celle des freestyles radio. Quelle époque dans le rap français ça aussi !

OP : J’adorais cet exercice du freestyle parce que pour moi, ce sont les contraintes qui font l’art, parfois. Les radios, c’est les seuls endroits qu’on avait pour rapper. Tout à l’heure, je te disais qu’on avait enregistré « Les bidons veulent le guidon » pour rien si ce n’est le plaisir d’être ensemble en studio, donc avoir une radio, c’était carrément incroyable. Ce privilège, on le doit à Mark de Bombattak, le visionnaire qui a eu l’idée de se servir d’une partie de son antenne pour nous promouvoir sans rien nous demander en retour. Toutes les fois où nous avons freestylé, c’était comme un jour de grande compétition pour nous : on se préparait, on écrivait, on réfléchissait aux instrus, aux enchaînements, on s’entraînait, on se comparait… Clairement, on était conscient de l’enjeu que c’était. Je dis ça, mais on a toujours été surpris de la notoriété que ça nous avait amenée. Cette grande époque, c’est celle qui m’a appris que le travail paye.

JL : Cette époque semble aujourd’hui révolue… C’est quelque chose que tu regrettes ?

OP : Pas du tout, mais je suis content de l’avoir vécu. Pour moi, le hip-hop s’est retrouvé en voie de disparition dès qu’un euro est rentré dans l’équation. Dès que l’argent est arrivé, le hip-hop est passé au second plan. Même s’il n’y a plus l’esprit rêvé aujourd’hui, on arrive à trouver un terrain d’entente grâce à la passion qui est toujours intacte. Il n’y a plus cette effervescence de jadis c’est vrai, mais aujourd’hui, on peut chanter en direct devant notre public et il n’y a pas plus incroyable que ça. On l’oublie souvent, mais à l’époque, pour qu’un morceau arrive à l’autre bout de la France, il fallait compter entre deux semaines et six mois, en attendant qu’un cousin monte à Paris et redescende avec l’enregistrement. On dirait presque qu’on était dans un monde en noir et blanc ! (rires).

JL : Après la séparation de Time Bomb, tu te retrouves dans un mood un peu sombre, mais qui a donné naissance à ton plus grand classique, Opéra Puccino. Quel regard portes-tu sur ce projet aujourd’hui, bientôt trente ans après ?

OP : Cette pièce-là, c’est un mélange d’émotions musicales amassées au gré des productions de DJ Mars et DJ Sek et de deux ans d’écriture. Deux ans d’écriture qui partent d’une question : « c’est quoi le problème ? ». Je pose la question, je creuse, j’arrive à d’autres questions qui soulèvent d’autres problèmes, mais qui me rapprochent aussi d’une solution et d’une vérité parmi les milliers qu’il peut y avoir. Quand je le conçois à l’époque, c’est comme ça que je le vois et c’est finalement ce que ça s’est révélé être puisqu’à sa sortie, ce n’était pas le genre de propos qui était attendu d’un album de rap. Le truc c’est que moi, j’avais déjà un questionnement psychologique, philosophique, social et même musical que j’essayais de partager à travers ce disque.

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JL : Preuve de l’avant-garde de ce premier album, il aura finalement fallu attendre huit ans pour qu’Opéra Puccino devienne disque d’or. Cette distinction tardive t’a-t-elle surprise ou c’est un juste retour des choses dans la mesure où tu souhaitais avant tout que ce disque soit intemporel ?

OP : Huit ans après, je t’avoue que je ne l’attendais plus, mais de base, j’avais quand même l’ambition qu’il soit intemporel. J’ai eu la chance de travailler ce disque avec Prince Charles Alexander ceux qui ont le courage ils googlent. Je me rappellerai toute ma vie de cette phrase qu’il m’a dite quand il bossait les accords du morceau « Le jour où tu partiras ». Il est sur le refrain, il tague un accord, me regarde et me dit : « tu verras, on va parler longtemps de ce disque ». Je n’oublierai jamais ses mots, surtout qu’à ce moment-là, je voyais les choses à deux ans près et je n’avais pas une vision à aussi long terme. Je ne me faisais aucune illusion, pour moi, le concept d’être écouté pendant longtemps était abstrait et c’était déjà une chance incroyable de sortir un disque.

Sur cet album, il y a un morceau qui a peut-être marqué le public plus que les autres, c’est bien sûr « L’enfant seul ». Ce titre a une force incroyable car il met tout le monde dans le même panier, en plus d’avoir toujours autant d’écho aujourd’hui. C’est malheureux, mais de nos jours, de plus en plus de jeunes se sentent seuls et isolés tandis que les problèmes de santé mentale prennent une place de plus en plus importante dans le débat public.

C’est fou. Je me rappelle qu’avant d’écrire « l’Enfant Seul », j’ai longuement écouté la prod et j’ai confié à Cassidy que j’allais écrire un grand morceau sur cette instru. Quand j’avais la chance d’avoir une inspiration instable, j’ai attendu que Ill-G se lasse de la prod pour y ajouter un sample que j’avais entendu à la télé. Une fois la prod finalisée, j’ai passé neuf mois à écrire ce morceau, presque mot par mot. Toujours de la même manière : en me demandant, « c’est quoi le problème ? », Je suis parti de la question « pourquoi est-ce qu’on est tous tristes tout le temps ? ». En y réfléchissant, une des choses qui m’est apparue, c’est le fait que ce qu’on traverse pendant l’enfance peut nous rendre tristes pendant très longtemps. J’ai creusé cette réflexion encore et encore et ça a donné vie à cette chanson. Si je voulais faire un grand morceau, à aucun moment, je pensais qu’il aurait autant d’impact sur les gens.

JL : S’il a autant marqué les gens, ça veut surtout dire que ce problème était bien réel tu ne crois pas ?

OP : C’est vrai. Pour moi, la réussite de ce morceau, c’est d’avoir mis le doigt sur un problème encore très peu discuté à l’époque. « L’enfant seul » a dévoilé un mal encore non identifié. Or, arriver à mettre des mots sur un problème, c’est reconnaître qu’il existe et c’est le premier pas pour le régler. Même si malheureusement, les débats autour de la santé mentale de nos jours prouvent qu’il est loin d’être résolu.

JL : Est-ce justement parce que le problème est encore très présent à notre époque que tu as eu envie d’en écrire une suite spirituelle à « l’Enfant seul » pour ton prochain album ?

OP : Le morceau s’appelle « Plus loin que soi ». Voilà cinq ans que je pense et travaille dessus. Et si j’estime qu’il est une sorte de suite spirituelle à « L’enfant seul », ce n’est pas sans raison. À vrai dire, à mi-chemin de l’aboutissement de ce morceau, je l’ai fait écouter à quelques amis et ce sont eux, avec leurs mots, qui m’ont dit que ça leur rappelait « L’enfant seul ».

Ce que ce nouveau titre raconte ? Aujourd’hui, quand on voit l’état de ce qu’on pourrait interpréter comme « l’amour », c’est dramatique. Les gens ne se parlent plus, les gens ont peur et n’arrivent plus à communiquer malgré tous les moyens magiques qu’ils ont en main pour échanger et se rencontrer. C’est quand même fou de se dire qu’avec tout ça à notre disposition, nous ne sommes pas plus heureux et amoureux les uns des autres. La réalité, c’est qu’on souffre tous de ces paradoxes-là. Pour moi, si la technologie a vite avancé, elle nous a menés à une certaine lenteur émotionnelle.

C’est pour ça qu’aujourd’hui, avec mon expérience, ma passion musicale et les choses que j’ai encore à dire, j’ai voulu faire en sorte d’amener des idées qui pour moi peuvent apporter autant que « L’enfant seul », pour peu qu’on y prête attention. Je le dis sans prétention, mais j’espère que les gens trouveront des solutions et des pistes de réflexion à cette époque morbide dans cette chanson.

JL : Peux-tu me parler de ton processus d’écriture ? A-t-il évolué avec le temps ?

OP : L’avantage que j’ai, c’est que j’écris sincèrement et je dis toujours ce que j’ai sur le fond du cœur, le tout dans la forme la plus compréhensible possible. Il faut savoir que je lis depuis très jeune et que je lis encore plus aujourd’hui, jusqu’à cinq livres par mois en moyenne, de tous les genres. À mes débuts déjà, je traînais avec le dictionnaire des rimes, celui des synonymes, celui des expressions ou encore le mot juste. Ce sont des livres que j’ai tellement parcourus que j’ai acquis des automatismes d’écriture qui m’ont amené à faire tourner une phrase sept fois dans ma tête avant de l’écrire quelque part. C’est-à-dire que je peux passer une journée entière avec cinq mots, à les mettre dans tous les sens jusqu’à trouver la bonne formule magique.

L’exemple le plus probant que j’ai pour illustrer, c’est dans le morceau « La peau de l’ours » dans lequel je dis « J’habite à dix minutes en hélico, trop de pigeons, moins incognito qu’un pélican intelligent ». Trouver le sens et l’ordre des mots m’a pris du temps parce que je voulais quelque chose qui sonne, qui ait une signification, mais avec une consonance étrange. Un désordre organisé en somme. Chercher ce que je vais exprimer en passant par tous les mots et expressions possibles, c’est un jeu auquel j’aime beaucoup jouer. J’ai toujours fait ça, mais aujourd’hui, je le fais avec de plus en plus de précisions et de nuances.

JL : Tu es aussi connu pour utiliser beaucoup d’images dans tes raps, plus que des suites de mots

OP : Oui parce que je pense qu’il n’y a pas meilleur moyen pour partager une idée que les métaphores. Les images, ça demande moins de travail intellectuel et de connaissances, juste une vue et un peu de mémoire. Ce n’est pas pour rien que j’ai commencé par le dessin. J’ai toujours trouvé ça génial parce que ça permet d’exprimer tout ce que tu ne peux pas écrire. C’est plus facile de toucher les gens avec un dessin qu’avec un texte au final. Dans un journal, mes pages préférées ont d’ailleurs toujours été celles des BD et des caricatures parce que dedans, on pouvait se permettre de dessiner tout ce qui n’était pas dit dans le reste du journal. On voit bien aujourd’hui le pouvoir d’une caricature et où elles peuvent emmener… En tant qu’artiste, je n’ai fait que transférer ce que j’avais besoin d’exprimer par le dessin, avec des mots.

En plus de tes prédispositions à l’écriture, tu t’es très vite démarqué avec une proposition artistique qui faisait fi des frontières entre les genres musicaux. Un positionnement qui t’a rapidement valu de nombreux surnoms, « Black Jack Brel », « Black Mafioso », « Black Barry White » et bien d’autres par ailleurs. Ces blases te collent à la peau depuis longtemps et t’amusent beaucoup aujourd’hui comme on a pu le voir sur la scène de la Philharmonie. Pourquoi ?

OP : Ça me fait rire aujourd’hui parce qu’avec le recul, tous ces noms me font penser à la présentation d’un combattant de boxe ou de catch. Ce sont des noms risibles, drôles, mais qui au final ont un sous-sens assez profond et qui correspondent assez bien à chacune des facettes de mon identité. Aujourd’hui, même si j’en ris, j’ai apprivoisé tous ces noms et ils font partie intégrante de mon ADN. Tous ensemble, ils symbolisent une espèce de construction empirique qui finit par la personne que je suis aujourd’hui et qui sera ajoutée à la personne que je serai demain.

JL : Ton côté « Black Jack Brel » s’est d’ailleurs encore davantage ressenti sur ton album suivant, L’Amour est Mort… Un album composé « A la Biggie », par ailleurs. J’entends par là sans l’écrire et totalement de mémoire. C’est un sacré exploit, mais qui correspond paradoxalement à une première période noire pour ta carrière.

OP : Exactement. C’était un moment particulier puisque je sortais du premier album avec tous les bouleversements personnels que ça a provoqué. La notoriété, la séparation de Time Bomb, des décès autour de moi et beaucoup d’autres drames… Tout ça cumulé, ça faisait beaucoup pour moi et je suis entré dans une profonde dépression. Mais parce que je devais malgré tout continuer d’avancer, tout ce cocktail d’émotions négatives s’est retrouvé en studio de manière spontanée. C’est alors que me vient une espèce de vision qui me fait dire qu’on se dirige vers la fin de l’amour. C’est cette vision qui va finalement donner son titre à l’album, L’amour est mort. Pour moi, le meilleur témoin de cette pensée pessimiste qui m’a traversée, c’est le morceau « Demain peut-être ».

Seulement voilà, quand je suis en studio, les choses ne se passent pas de la meilleure manière possible et finalement, je considère que cet album est pour moi un échec. Un échec parce qu’artistiquement, je ne suis pas arrivé au bout de mes objectifs. Comme si ça ne suffisait pas, après la sortie de l’Amour est mort, ma mentor Laurence Touitou qui m’a signé chez Delabel quitte le navire. Alors qu’elle m’avait signé parce que j’écrivais bien et que j’avais des choses à raconter, je me retrouve face à son remplaçant, Benjamin Chulvanij, un homme d’affaires qui ne comprend rien à ce que je fais et qui veut me forcer à faire de la musique « commerciale » et « commerciable ». On ne se comprenait pas du tout et je n’avais absolument pas envie d’embarquer pour trois albums et dix années de ma vie avec lui. J’en arrive alors à me dire que je veux arrêter la musique.

Sûr de ma décision, je contacte Laurence pour lui demander de me tirer de là sans trop de problèmes juridiques. Elle me suggère alors d’appeler Nicole Schluss qui vient de quitter Delabel pour ouvrir sa propre agence d’artistes. Elle m’assure alors que je ne vais pas arrêter la musique et qu’au contraire, je vais continuer, en plus de faire du cinéma, écrire des films, des livres et faire tout plein de choses. Je n’y crois pas trop, mais elle arrive finalement à me convaincre de rester dans le circuit pour travailler sur mon prochain album, Le Cactus de Sibérie.

JL : À ce moment-là, tu penses que la machine est relancée, mais au final, ce troisième album a lui aussi été très difficile à faire pour toi.

OP : Oui, car quand je me retrouve au studio pour travailler sur Le Cactus de Sibérie, je dois réapprendre à écrire. Puisque j’étais parti sur de l’écriture de mémoire, ça faisait trois-quatre ans que je n’avais pas vraiment écrit et j’ai perdu tous mes automatismes. C’est fâcheux, mais forcément, quand tu ne pratiques pas ton instrument, il dépérit. Ajoute à ça le fait de perdre totalement le goût d’écrire dû à mon envie de tout arrêter, et tu comprendras pourquoi faire cet album était difficile.

Si au sein des têtes du label, personne ne comprend où je veux aller, en me reprochant de ne pas faire de hit, j’ai pu heureusement compter sur Le Célèbre Bauza pour me remettre en selle. Il m’a donné l’inspiration, m’a aidé à écrire et donné des idées pour avancer et relancer la machine. Grâce à lui, Manu Key, Marc, Nicole et le reste de mon équipe, on est rentrés en studio et on a finalement réussi à tisser cet album. J’en reste fier, parce que je n’ai pas fait semblant. Quand je fais un choix, même difficile, je vais toujours jusqu’au bout et je fais du mieux possible.

JL : Tu peux d’autant plus en être fier qu’avec cet album, tu es finalement parvenu à faire valoir tes choix artistiques sans compromission, en proposant un projet bien plus ouvert musicalement et plus éloigné des codes traditionnels du rap.

OP : Ça me tenait à cœur. Ça aurait arrangé tout le monde que je fasse un album entier de morceaux à la « Pucc Fiction », en tirant à la mitraillette sur des mafieux. C’était ce qu’on attendait de moi, mais il était hors de question que je me mette à faire du hardcore pour plaire à un public. La meilleure chose à faire, c’était d’en avoir rien à foutre et de faire son propre truc. C’est pour cette raison que Le Cactus de Sibérie est bien plus ouvert et propose des choses loin des codes traditionnels du rap.

JL : En 2006, tu as poursuivi dans cette voie d’ouverture en quittant carrément la sphère hip-hop pendant un temps. Tu es allé chez Blue Note, un célèbre label de Jazz, le temps d’un album concept en collaboration avec le groupe The Jazzbastards, intitulé Lipopette Bar.

OP : Ce qu’il se passe, c’est qu’après Le Cactus de Sibérie, je me retrouve dans l’impasse et ne sais plus quoi faire. Pour te dire à ce moment-là, le patron du rap français c’est Rohff. La tendance du moment est au rap street bourré de testostérone et ça ne me parle pas du tout. Je finis par recroiser Alex Nebout, un ancien de chez Delabel qui travaillait chez 3e Bureau à l’époque. Il me dit « Écoute Oxmo, tu ne sais pas quoi faire ? Moi je te vois avec des musiciens en costard ». Plutôt pas mal comme idée, mais je me dis que je ferai ça à la retraite. Quelques mois après, le boss de Blue Note me contacte et me demande si je veux essayer de sortir un disque chez lui. Au départ, je n’étais pas très emballé puisque si ce n’est Easy Mo Bee, je n’aimais pas trop le mélange jazz / rap. J’aimais bien le jazz, mais je ne voyais pas comment le mélanger au hip-hop sans intellectualiser le truc. Les premières sessions studio étaient difficiles avec trois mois de feuilles blanches, mais j’ai fini par avoir le déclic : je me suis dit que j’allais raconter une petite histoire.

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Lipopette Bar est lancé et je me suis retrouvé à le défendre sur scène avant même de finir l’album, sur le Festival Blue Note en 2006. La surprise et l’émotion qu’ont suscitées ce live sur le public nous ont permis de nous rassurer sur la direction qu’on prenait. Il faut dire que personne ne s’attendait à ça. À partir de là, je commence à parler à d’autres personnes, à des gens qui n’écoutent pas de rap et à tourner dans des festivals plus ouverts, avec des artistes jazz du monde entier que j’admire et écoute depuis des années. Imagine que je me retrouve au festival de Jazz de Montréal, jamais le rap ne m’aurait emmené là ! J’ai rencontré tellement d’artistes de grande facture que je n’aurais jamais croisé autrement. Je pense par exemple à la contrebassiste Esperanza Spalding, une personne extraordinaire.

JL : Ce n’était que le début puisque avec ton album suivant, L’arme de Paix, tu as multiplié les incursions dans le jazz, mais aussi dans plein d’autres styles musicaux que le hip-hop.

OP : Cet album est pour moi un portail vers une nouvelle ère. Ce qu’il y a c’est que j’ai très vite été lassé des samples, des boucles et des beats redondants. Déjà à l’époque, j’écoutais beaucoup d’autres choses que le rap : de la chanson française, de la soul, du jazz, du classique. Bref, j’étais très éclectique et j’ai très vite été attiré par les mélodies, les variations et la musique en général.

Si Lipopette Bar était une commande, j’ai décidé de canaliser toute la force nécessaire à sa construction pour donner vie et composer L’arme de Paix. Et pour la première fois depuis longtemps, j’avais une vision assez claire de ce que je voulais faire. À partir de là, je ne me fixe aucune limite de genres et je fais ce qui me plaît puisque je suis convaincu que je ne pourrais jamais concrétiser cette vision avec des boucles et des samples..

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Ce changement de direction ne m’a apporté que du bon. Beaucoup de confiance déjà car le fait d’avoir travaillé rapidement avec des musiciens de valeur m’a fait gagner le respect des autres musiciens et du milieu plus large de la musique. Toutes les expériences de collaborations que je tentais ont convaincu tout le monde que je n’étais pas quelqu’un de fermé. Quand bien même je perdais une fan base strictement hip-hop, ça me convenait très bien puisque ça m’a fait dire que finalement, j’en avais peut-être pour un peu plus longtemps que prévu.

JL : Tu es même allé encore plus loin dans les variations de styles avec ton sixième album Roi Sans Carrosse. Un disque qui a carrément embrassé la bossanova et la saudade !

OP : Cette direction est venue parce que je suis parti au Brésil avec Vincent Segal et Kim Chapiron. J’arrive là-bas avec mon multi pistes et voilà que Kim, plein d’entrain, me tend une guitare de bossanova. Comme par hasard, ce jour-là il y avait Seu Jorge, il a baptisé la guitare et j’ai composé Roi Sans Carrosse là-bas en treize jours ! Je me rappelle être rentré de vacances et avoir dit à Nicole : « J’ai un album ! ». Elle m’a répondu : « On est dans la merde, mais je suis prête ! » (rires). C’est pour ça que j’adore Nicole Schluss. Clairement si j’ai un problème, elle fait partie de ceux que j’appelle en premier. Vraiment, si je m’évanouis après un accident, avant de fermer les yeux, je vais envoyer un message à Nicole parce que je sais que je peux compter sur elle. Elle était tellement prête que Roi Sans Carrosse nous a donné notre deuxième Victoire de la Musique.

JL : C’est aussi à partir de ce moment-là que le milieu du rap commence peu à peu à te tourner le dos…

OP : C’est vrai que cette ouverture musicale m’a fermé les portes de certains médias rap. Dès que j’arrive avec Lipopette Bar, un album acoustique avant Kendrick Lamar, alors qu’on est en plein avènement de la trap, je suis vu par certains comme un traître et un élitiste. On a beau me reprocher de ne plus faire de textes de mafioso, ça ne me pose pas de problème. Je sais qui je suis, je sais où j’en suis, j’ai confiance en moi et peu importe ce qu’on pense de moi. Même si les fidèles sont toujours là, je suis heureux quand des gens me découvrent sur le tard.

JL : Ton album suivant, La voix lactée est sorti le 13 novembre 2015. Si ce jour nous rappelle à tous des souvenirs douloureux, te concernant, il correspond selon moi à ton éclosion suprême, par-delà toutes les frontières terrestres. Plus qu’un album de la maturité, c’est un projet de transition sur lequel tu deviens définitivement adulte.

OP : Un premier album d’adulte, c’est le terme parfait ! Au travers des morceaux comme « Slow Life », « Doux or Die », « Amour et Propriété », « Un week-end sur deux », « Les potos », ou « Surprise Birthday », j’aborde clairement des thèmes de jeunes adultes, de daron. Même « 1998 », c’est un retour nostalgique sur un moment que les plus jeunes ne peuvent pas connaître.

À partir de ce moment-là, j’accepte et propose à mon public de prendre la vie d’une manière plus douce, plus légère. Tu peux d’ailleurs constater tout le chemin parcouru en écoutant à la suite « Avoir des potes » sur L’Amour et Mort et « Les potos » sur La voix lactée. J’aime beaucoup faire des morceaux qui parlent d’un même sujet vingt ans plus tard.

JL : Depuis cet album et même un peu avant, on sent que le Oxmo Puccino acculé et en proie à la dépression n’est plus. Plus le temps passe et plus tu embrasses des ondes positives, grâce à des vibes et des chansons toujours plus chaleureuses. Qu’est-ce qui t’a permis d’autant avancer vers la lumière et de rester si optimiste, dans un monde qui à l’inverse s’obscurcit ?

OP : Pendant longtemps, j’ai pensé que les problèmes se réglaient uniquement par la violence et j’ai dû apprendre à me déconstruire. Pour y arriver, je suis passé par quelques lectures déjà, mais le point-clef de mon nouvel état d’esprit, c’est Kim Chapiron avec qui je refais le monde pendant des heures via des conversations très profondes.

Un jour, il m’appelle en retour de voyage et me dit « Ox’, j’ai fait une rencontre de ouf ! ». En fait, il a rencontré une vieille dame qui ne le connaissait pas et qui lui a dit « Il faut que tu sois positif et que tu ailles vers la lumière ». Suite à cette conversation, il m’explique qu’il faut commencer à prendre les choses du bon côté, essayer d’être lumineux en toutes circonstances, et de tout faire pour rester positif, même face à une situation désagréable. À partir de là, j’essaye d’appliquer ses conseils concrètement, de prendre les choses du bon côté, de réagir avec parcimonie sur des montées de colère etc, et je vois que ça marche. Clairement, agir de cette manière fonctionne mieux que de régler les choses violemment. C’est pour ça que j’ai fini par en faire une ligne de conduite dans ma vie. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de tomber dans la mièvrerie lorsque je parle de paix et d’amour, justement parce que j’ai longtemps vécu le contraire.

JL : Puisque tu es devenu un messager de la paix et de l’amour, qui de mieux que ton public pour envoyer et recevoir tous ces messages positifs ? Tu as toujours été proche de tes fans : après 25 ans de carrière, qu’est-ce que tu aurais envie de leur dire ?

OP : Deux choses : qu’on ne s’est pas trompés et que je suis comme il le croit.

JL : En 2019, tu es revenu avec La Nuit du Réveil, un album sur lequel tu sembles plus lucide et détaché que jamais

OP : La Nuit du Réveil, c’est ce moment de ta vie où tu découvres une vérité qui va remettre ton existence en question, à tel point que tu vas passer par la noirceur avant de retrouver la lumière. C’est une espèce de parcours initiatique que tout le monde traverse un jour. Tu avances avec tes convictions et tout d’un coup, un événement va venir tout bouleverser : une maladie, un décès, une séparation ou que sais-je encore. Dès lors, tu te réveilles et tu vois ta vie autrement. Le mieux, même si c’est difficile, c’est de le vivre tôt, comme ça tu passes le reste de ta vie tranquille. Autrement, tu passes toute ta vie à te poser des questions et sur le tard, tu auras des réponses qui vont niquer le reste de ta vie.

JL : Et justement, quel a été pour toi ce déclic ?

OP : Depuis que j’ai compris que seul l’amour pouvait tous nous sauver. Comme tu le sais, j’ai fait de l’argent assez jeune donc j’ai très vite su ce que c’était que d’être aisé par rapport au reste de mes concitoyens. Le résultat, c’est que ça ne m’a rien apporté de bien. J’ai même vite subi l’envie et la jalousie des autres, en plus d’avoir été victime de harcèlement. J’ai beau m’être mis aux sports de combat pour me défendre, ça n’a pas adouci ma colère. Dans la rue, j’ai essayé de dealer un peu, j’ai beaucoup volé et j’ai même fini armé. Rassure-toi, je n’ai jamais rien fait de grave, mais dis-toi qu’après L’Amour est Mort, quand je pensais à arrêter le rap, je voulais me lancer dans les braquages professionnels et le crime organisé.

Fort heureusement, j’ai vite compris qu’avoir de l’argent ça ne rendait pas forcément heureux, au même titre que la violence, comme être le plus dangereux, ne marchait pas non plus. Pareil avec le succès auprès des femmes et la notoriété, c’est cool un moment, mais ça ne suffit pas. Une fois que j’ai dressé ce constat, je me suis posé la question « comment faire pour ne plus être en colère et être réellement heureux ? » J’ai réfléchi et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il ne me restait plus que l’amour. Tout le reste, ce ne sont que des prétextes et des raccourcis pour aller vers ce qu’on pense être de l’amour et de l’intention.

Je l’ai compris sur le tard, mais aujourd’hui, une bonne partie de mon œuvre, au travers les divers sujets que j’aborde, sert justement à donner les clefs pour comprendre cette leçon le plus vite possible. Diffuser de l’amour, je suis convaincu que c’est ma mission. C’est ce dont on a besoin plus que jamais aujourd’hui.

JL : Dans notre monde actuel, rester positif est un combat de tous les instants. De ton côté, qu’est-ce qui te rend heureux et qui te permet de toujours garder le cap sur cette mission ?

OP : Pour moi, tu ne peux pas perdre en étant positif car contrairement au loto, ça marche toujours. Forcément donc, le fait d’avoir avec moi une formule infaillible pour toucher le bonheur me met en joie. Aussi, je vais être bête et niais, mais avoir la santé et le soleil qui se lève tous les jours, c’est un facteur de motivation.

JL : Autre déclic, toujours dans une logique d’ouverture, à partir de l’album La Nuit du Réveil, on sent que tu cherches plus que jamais à simplifier tes rimes et rendre tes textes plus accessibles, cela sans pour autant perdre la subtilité de tes mots.

OP : Oui, je dirais même, les simplifier sans les rendre simplistes. Très vite dans mon cheminement artistique, j’ai cherché à exprimer le plus de choses possible avec le moins de mots. J’en ai réellement pris conscience en 2018, en discutant avec Orelsan. Il m’a dit cette phrase qui est restée gravée dans ma tête : « Ox, c’est quand même fou de se dire qu’avec juste une phrase de tes textes, on peut écrire un morceau ». Quand il m’a dit ça, j’ai réfléchi et j’ai fait le lien entre ces fois où les gens ne captaient plus forcément ce que je voulais dire et la densité de mes textes. J’ai réalisé que j’écrivais peut-être trop et c’est à partir de ce moment que j’ai essayé de fluidifier ma façon d’écrire.

JL : Après La Nuit du Réveil, tu as mis ta carrière musicale entre parenthèses pour te consacrer à d’autres projets, notamment l’écriture de plusieurs ouvrages, du théâtre et même des émissions de télé. D’où t’es venu ce besoin d’adopter des nouvelles formes d’écriture et d’expression artistique ?

OP : Si j’écris un peu moins en ce moment, il faut savoir que pendant très longtemps, j’écrivais tous les jours. Des idées de films, des dialogues, des titres de chansons, des titres de livres, des références… Tout ça, je l’ai noté en attendant d’avoir le temps de me pencher sérieusement dessus. Et lorsque est arrivé le Covid, j’ai pu réaliser tous ces projets. Résultat, j’ai écrit deux livres, joué dans des films, au théâtre, faire des chroniques avec Mouloud Achour sur Clique et plein d’autres choses.. Faire tout ça m’a permis de redécouvrir une facette de moi-même qui couvait dans mes textes. La seule chose que je n’avais pas prévue a été d’hoster une émission télé, en l’occurrence Bâtiment B. Encore aujourd’hui, j’ai beaucoup de projets sous le tapis qui n’en sont qu’au stade de l’étincelle et qui attendent simplement leur jour.

JL : Le Château de Barbe-Bleue, opéra en un acte de Béla Bartók, Les méchants, film de Mouloud Achour, ou encore Classico de Nathanaël Guedj et Adrien Piquet-Gauthier sont autant de projets récents auxquels tu as participé. Des projets qui montrent qu’une bonne fois pour toutes, tu t’assumes comme un artiste à part entière.

OP : Totalement et c’est bien que tu précises « en tant qu’artiste » parce que c’est comme ça que je suis. Tout ce que je fais, ce n’est pas une discipline, c’est de l’art.

JL : Et justement, y a-t-il une autre forme d’art que tu n’as pas encore exploré et à laquelle tu aimerais potentiellement t’essayer ?

OP : J’aimerais beaucoup revenir à la peinture et la sculpture. Peu de gens le savent, mais il y a cinq-six ans, j’ai commencé à sculpter des formes géométriques et des structures à la plage. En bon autodidacte, j’ai carrément acheté du matériel pour apprendre à bien travailler le sable. Je n’ai pas osé m’attaquer tout de suite à la glaise puisque pour moi, passer cette étape demande de l’audace, une audace que je n’ai pas. Malheureusement, je n’aurais pas le temps d’étudier davantage cette forme d’art. Aujourd’hui, je suis trop occupé à continuer d’apprendre à écrire, à étudier la musique, l’informatique à des fins créatives et à prendre du temps pour moi.

JL : Prendre du temps pour toi bien sûr, mais aussi travailler sur ton prochain album. Tu évoquais déjà tout à l’heure le morceau « Plus loin que soi », peux-tu également nous en dire un petit peu plus sur la direction globale que va prendre ton futur projet ?

OP : Toujours dans l’optique de proposer des pistes de solutions à un problème, la thématique de l’album c’est la vérité. Je suis parti d’un constat : depuis le Covid, tout le monde a sa vérité. Un ami proche avec qui je discute beaucoup me disait « on a un problème avec la réalité et la vérité aujourd’hui ». Il veut dire par là que les gens prennent leur vérité pour la réalité et il a raison.

Le problème de notre époque, c’est que dès que tu crois en quelque chose, tu trouveras tous les arguments pour corroborer tes croyances, aussi absurdes soient-elles. Si tu crois que la Terre est plate, si tu crois aux OVNI’s, si tu crois aux fantômes, en Dieu, au Diable, si tu crois que Trump est un lézard, si tu crois que le 11 septembre a eu lieu ou non, tu trouveras toujours de quoi te convaincre de ta vérité. Tout ça, ça ne fait que nous diviser et fabriquer des réalités parallèles qui viennent s’entrechoquer dans nos vies, nos familles, entre amis ou au travail. Et si tout ça n’était qu’une question d’ego ? Pourquoi ta vérité serait meilleure que celle de l’autre ? Se battre pour des vérités impossibles à prouver, voilà où on en est aujourd’hui…Tout ça pour dire que le message que je veux faire passer dans mon album c’est :« oublions nos différends, on s’en fout de la vérité, l’important c’est qu’on s’entende bien ».

Par exemple, l’autre jour, j’étais dans un dîner et deux personnes ont commencé à parler d’une théorie complètement fumeuse sur les Égyptiens. Une enseignante et moi-même qui étions autour de la table, nous savions qu’ils se trompaient, mais nous avons fait le choix de ne pas les reprendre. Une fois qu’ils ont vu qu’ils n’avaient pas la réponse, nous sommes passés à autre chose et le reste de la soirée s’est super bien passé. À quoi bon entrer en conflit avec eux pour tenter de les convaincre alors qu’ils sont déjà persuadés d’avoir raison ? Si on avait cherché à les corriger, ça aurait pu créer un complexe inutile, ça nous aurait mis en valeur et nous aurions tous perdu du temps sur un sujet qui au fond n’est pas intéressant. Sur la forme, on est sur quelque chose entre L’arme de Paix et Opéra Puccino, à savoir du hip-hop traditionnel mélangé à la chaleur et aux arrangements d’un album acoustique.

JL : À l’heure de ce premier bilan, quels enseignements tires-tu de tes 25 ans de carrière ?

OP : *Il hésite longuement* Ce que ma carrière m’a appris, c’est que les choses vont plus vite qu’on le pense et qu’il faut des gens solides autour de soi pour nous expliquer quand ça va trop vite. J’ajouterai aussi qu’il faut être prudent avec ses idéaux. Littéralement. J’ai appris que mon idéal n’était pas forcément celui de mon voisin.

JL : Aujourd’hui, on te sent très apaisé, en paix avec toi-même et le monde entier. Pour autant, as-tu des regrets quand tu regardes en arrière, le long de tes 25 ans de carrière ?

Je suis en totale phase avec moi-même oui, et les moments sombres de ma carrière sont minimes comparés à tous les autres grands moments que j’ai vécus. Je n’ai aucun regret si ce n’est que pour reparler de mes idéaux, à chaque fois que j’ai eu envie de construire quelque chose de collectif, ce n’était pas partagé. La fin de Time Bomb, la conception de L’amour est mort, les artistes que j’ai essayé de produire, accompagner ou conseiller, ceux que j’ai croisés et avec qui il aurait pu se passer plus de choses… À force de ne pas vouloir m’en prendre aux autres, j’ai compris que tous ces actes manqués sont survenus à cause de mes idéaux.

JL : Dans une logique de transmission, quel conseil donnerais-tu aux jeunes pour leur redonner goût à la vie dans un contexte où l’avenir apparaît extrêmement incertain ?

OP : Celui de sortir d’eux-mêmes et de ne pas avoir peur d’être curieux en dehors de soi. La nécessité de passer par les écrans aujourd’hui nous enferme dans nos mains. On a la tête baissée, le regard sur le téléphone et la petite oreillette qui marche très bien donc on est tous perchés dans nos bulles. Sauf que ce sont ces bulles, toutes ces petites billes qui font tourner la roue des GAFA. Si tu arrives à t’extraire de ça et que tu observes le monde dans sa globalité, tu en apprendras tellement que tu auras beaucoup plus de choses à raconter. Sortons de notre soi, arrêtons de penser qu’on est le nombril du monde, arrêtons de vouloir être aimé par le monde entier et arrêtons d’avoir peur. On n’apprend rien à personne avec la peur, mais c’est avec l’amour qu’on avance. Réfléchissons tous à ça et notre monde sera beaucoup plus beau.

JL : Si tu avais le pouvoir de changer une chose dans le monde, laquelle ce serait ?

OP : Je ferai en sorte que tout le monde ne puisse envoyer qu’un message ou un tweet par jour. On s’emballerait moins et on réfléchirait davantage à la pertinence de nos mots.

JL : Le mot de la fin justement : que pouvons-nous te souhaiter pour tes 25 prochaines années ?

OP : Que ça continue comme c’est, je ne demande rien de plus. Une chose est sûre, c’est que dans 25 ans, j’aurais sûrement arrêté la musique. À ce moment-là, j’espère être en train de pêcher au bord de mer avec des potes !

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