Horizon Kevin Costner
Warner Bros.

Le "premier chapitre" du western géant de Kevin Costner ressemble à une saison entière de télé concentrée en trois heures. Très inégal, mais quand même balaise.

Au poker, on appelle ça un all-in, soit miser tous ses jetons sur un dernier gros coup et espérer tout rafler -ou être éliminé. En français, on dit faire tapis, mais en anglais, ça nous arrange plus pour parler d’Horizon : An American Saga, le all-in de Costner. Tout est misé, tout est en jeu, tout est là. Comme Megalopolis, également projeté au Festival de Cannes 2024 en avant-première, Costner a hypothéqué ses biens (sa propriété californienne notamment) pour produire le film que personne ne voulait faire. Enfin, les films, puisque les trois heures montrées à Cannes ne sont que la première partie de la saga, qui sera suivie de trois autres films. Ou peut-être quatre, si le coeur lui en dit. Oui, ce n’est pas rien. C’est même tout : all-in.

Nous commençons en 1853 : des colons cherchent à s’installer autour d’une rivière au coeur des USA, dans un lieu qui rêve de s’appeler Horizon, mais sont massacrés par les indiens. Dix ans plus tard, d’autres colons tentent de nouveau leur chance. Nouveau massacre, mais cette fois, les choses ont changé : les survivants font appel à l’armée américaine et on sent bien que le vent de l’histoire commence déjà à tourner. A des kilomètres de là, dans la neige, une femme tente de tuer de son mari violent avant de s’échapper. Elle sera traquée par le clan de son conjoint, les Sykes, par vraiment des outlaws mais déjà une famille criminelle. Ajoutez à cela une autre histoire : celle d’une caravane de colons traversant le pays vers Horizon. Et enfin, puisque tout le monde l’attendait, voici Costner himself, qui va croiser le chemin d’une prostituée et se retrouver embarquer dans toutes ces histoires. All-in, qu’on vous dit.

Kevin Costner Horizon
Warner Bros.

Le résultat est à la fois impressionnant et épuisant : comme si on vous forçait à regarder trois heures non-stop (même pas un entracte pour reprendre son souffle) un montage réduit d’une saison entière de votre série western préférée (les fans de Yellowstone lui donneront sûrement raison). Forcément, il y a des moments faiblards, peut-être dûs à ce croisement pas si heureux de story arcs télévisuels dans un seul et même film. A des séquences carrément impressionnantes (tout le prologue, avec l’attaque nocturne par les Indiens, ou le dialogue entre Costner et un des frangins du clan Sykes le long d’une pente…) succèdent des moments longuets, voire des trous dans la narration (étonnants vue la longueur de l’ouvrage). Selon sa sensibilité, on prendra ce qu’on aime et on déconnectera tranquillement le reste du temps (ici, les séquences avec Sam Worthington en soldat romantique ne nous ont pas affolés, tandis qu’on passerait volontiers plus de temps dans la caravane de chariots menée par Luke Wilson).

Difficile, en fait, d’en dégager une idée d’ensemble : y a-t-il l’idée de faire un western total, ultime, qui revendiquerait tout, de Griffith à Tarantino, comme Napoléon revendiquait à la fois Clovis et le Comité de Salut public ? Même pas. Au fond, la visée de Costner paraît bien plus modeste : faire sa saga américaine, c’est reconstituer la période qu’il aime, celle des pionniers, des fondateurs, des Indiens filmés comme d’ombrageux bushis, des femmes fortes et belles, de la Guerre de Sécession au loin… Ce qui rend la fin de ce "Chapitre 1" (interminable montage de scènes à venir du prochain film) plutôt frustrante. Il y a aussi de nombreux points communs visuels et thématiques avec Red Dead Redemption (peut-être le dernier grand western américain ?) : on imagine mal, et on a peut-être tort, Costner jouer au chef-d’oeuvre de Rockstar, mais on y pense très fort en voyant ces tombes de colons anonymes servir de discret centre de gravité tout au long du film, rejoignant l’obsession souterraine de Red Dead Redemption pour les cadavres et les cimetières. Signifiant que le genre est mort, et que ses imitateurs ne font qu’agiter des cadavres en imaginant invoquer sa mythologie. Mais pour être fixés sur le vrai sens de tout cela, il faudra attendre la fin des dix heures de film (ou douze, ou seize…), de cette saga américaine.