Les visites présidentielles à Brest depuis 1947

Publié le 14/05/2024
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Historien de Brest, Benoît Quinquis Historien de Brest, Benoît Quinquis revient sur les visites présidentielles à Brest depuis 1947, de Vincent Auriol à Emmanuel Macron. 

Une émission trimestrielle proposée par Benoît Quinquis, philosophe et historien mais aussi dessinateur caricaturiste sous le pseudonyme de Blequin.

Les versions écrites sont à retrouver dans le magazine Côté Brest pour lequel Benoît Quinquis écrit des chroniques historiques

Légende de la photo de couverture : Visite Charles De Gaulle à Brest le 15 février 1965 - crédit :  SHD Brest, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Comme le port de Brest est le siège de la force de frappe française, la ville est un passage obligé pour tout chef de l’État (qui est aussi le chef des armées). Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, nos présidents de la République n’ont pas tous fréquenté la ville du Ponant avec la même assiduité et si leurs visites se suivent, elles ne se ressemblent pas... 

Vincent Auriol (1947-1954) 

Ce fut dans une ville en ruine que le premier président de la IVe république débarqua le 30 mai 1948. Il fut accueilli par la musique des équipages de la Flotte et la clique des mousses mais, quand il visita la cité de baraques où des pancartes réclamaient « du beurre et des conserves », il ne put que constater le dénuement de la ville martyre, qu’il résuma par cette déclaration déchirante : « La France ne peut s’imaginer la grande misère de Brest ». Au cours de cette journée, il posa la première pierre du pont de l’Harteloire et remit à la ville la croix de guerre avec palme et légion d’honneur ainsi que 50.000 francs pour ses œuvres de bienfaisance, un soutien plus que bienvenu. 

René Coty (1954-1959)

En tant que ministre de la reconstruction, le successeur de Vincent Auriol avait accueilli ce dernier à Brest, mais il n’eut jamais l’occasion d’y revenir en tant que président : il se rendit certes au Danemark à bord du Jean-Bart, un cuirassé bâti à Brest, mais ce fut au Havre que le président Coty embarqua le 13 mai 1955. Une visite de Brest fut prévue pour le 13 juin 1958 et fit même l’objet d’une « répétition » minutieuse mais, le 21 mai, une lettre annonça le report de la visite « en raison de l’état d’urgence et de la gravité de la situation politique ». Finalement programmée en juin 1959, la visite n’eut jamais lieu, une nouvelle république ayant vu le jour entretemps. 

Charles De Gaulle (1959-1969) 

Le « grand Charles » état déjà passé trois fois à Brest, mais il la visita pour la première fois en tant que président de la république le 7 septembre 1960, alors que ruines et gravats avaient disparu, pour remettre la médaille de la résistance obtenue par la ville en 1947. La remise eut lieu sur la place des fusillés et le général prit un bain de foule auprès du personnel de l’Arsenal. Au cours d’une deuxième visite, le 15 février 1965, dans le cadre d’une tournée des écoles militaires du pays, il prononça cette phrase : « La géographie a peut-être fait de Brest un haut-lieu de notre destin ». Il passa aussi brièvement le 15 juillet 1967 avant de partir en voyage officiel au Canada, mais sa visite la plus amère fut la dernière, le 1er février 1969 : les événements de mai 68 étaient encore frais dans les mémoires et quand il arriva à l’hôtel de ville pour évoquer les difficultés économiques de la région, aux vivats de ses partisans répondirent des cris hostiles. Le général prit tout de même le temps de constater l’avancement de la grande forme de radoub du port de commerce. 

Georges Pompidou (1969-1974) 

Mandat avorté oblige, le successeur du général ne passa qu’une fois à Brest, le 22 octobre 1971. Il passa d’abord à la mairie, dans la salle Richelieu, où il écouta « silencieusement » les explications sur les réalisations annoncées puis prononça un discours retransmis à l’extérieur où retentirent des cris tels que « Liberté d’expression » et « Du travail en Bretagne ». Selon certains témoins, Brest fut la seule grande ville de « Province » où des heurts entre policiers et étudiants eurent lieu en marge d’une visite du président Pompidou, lequel salua néanmoins la foule avant de fleurir le monument aux morts pour ensuite gagner l’Île Longue en hélicoptère où il visita le Redoutable et la Jeanne d’Arc. 

Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)  

Quand le tout jeune président (48 ans) se rendit à l’Île Longue le 7 novembre 1974, 5.000 manifestants (selon le quotidien Ouest France) défilaient dans les rues de Brest : « VGE » évita la confrontation directe avec une population brestoise très affectée par le chômage et embarqua à bord du Terrible pour une plongée de vingt-quatre heures : sur la Jeanne d’Arc, il réaffirma la vocation maritime de la France mais ne rassura pas les marins sur l’avenir de la Flotte. Il écouta néanmoins des représentants de la population dans l’aérogare de Guipavas. Il revint le 7 novembre 1977 pour saluer le départ des officiers-élèves de la Jeanne d’Arc : en marge de cette visite réglée comme du papier à musique, au cours de laquelle le président accorda une poignée de main « sans chaleur » au maire socialiste Francis Le Blé, 5.000 à 7.000 manifestants défilèrent dans les rues. 

François Mitterrand (1981-1995) 

Six passages à Brest pour « Tonton » : le 24 juillet 1981, il profita d’une visite de l’Île Longue pour passer à Brest où il avait des « amis personnels » et gagna, porté par une marée humaine, l’hôtel de ville où un mariage devait avoir lieu, offrant à la mariée une haie d’honneur inattendue ! Plus protocolaire, il revint à l’Île Longue le 15 mai 1985 pour assister au départ de l’Inflexible avec 96 têtes nucléaires à son bord. Le 8 octobre 1985, il visita Ifremer. Le 29 novembre 1988, il assista à la cérémonie de départ de la Jeanne d’Arc mais fut privé de revue aéronavale à cause de la faible visibilité due au crachin. Il était aussi présent le 7 mai 1994 pour la mise à flot du porte-avions Charles De Gaulle, mais sa visite la plus mémorable fut celle du 19 octobre 1994, où il vint inaugurer la faculté Victor Segalen. Il y eut certes une manifestation des personnels de l’UBO, mais les protestations étaient plutôt adressées au ministre de l’enseignement supérieur, François Fillon, qui accompagnait le président. L’ambiance de la visite fut globalement « bon enfant » et certains témoins affirment que quand le chef de l’État échangea avec les étudiants, il fit montre d’une telle vivacité d’esprit qu’on n’imaginait pas qu’il allait mourir un an et demi plus tard ! 

Jacques Chirac (1995-2007) 

En mai 1996, au terme d’une visite à Quimper où il déclara « Le Finistère est un de plus beaux et des plus dynamiques départements de notre pays », le 5e président de la Ve république annonça une visite à Brest le 14 juin pour rencontrer les travailleurs de la DCN. Dans les faits, il s’attarda surtout à l’École Navale, dans les entrailles du Triomphant et sur le pont du Charles de Gaulle où il fit cette réflexion : « Les porte-avions, c’est comme les gendarmes. Cela marche par deux. » Au cours de sa deuxième visite, le 17 février 2004, il salua la mémoire des pêcheurs du Bugaled Breizh et visita plusieurs navires dédiés à la sécurité maritime, dénonçant au passage les « voyous de la mer ». Ces paroles ne suffirent pas à calmer les 450 manifestants qui protestaient contre la construction du deuxième porte-avions, finalement attribuée à Saint-Nazaire. Le 19 janvier 2006, il revint pour la dernière fois à l’Île longue pour une courte visite du sous-marin Le Vigilant et un discours aux marins dans la salle de sports. 

Nicolas Sarkozy (2007-2012)

Si l’on en croit Yasmina Reza, « Sarko » ne porterait pas la Bretagne dans son cœur ; il s’est quand même rendu quatre fois en Finistère durant son quinquennat, dont une fois à l’Île Longue, accompagné du ministre de la défense Hervé Morin, pour réaffirmer l’importance de la dissuasion nucléaire, « l’assurance-vie de la France ». Sorti de ça, il semble avoir évité la ville du Ponant. 

François Hollande (2012-2017)

Contrairement à son prédécesseur, « le petit François » (comme le surnomment certains Brestois) entretient une relation privilégiée avec Brest où il était devenu chef du PS. Il inaugura donc son quinquennat aux fêtes maritimes, le 14 juillet 2012, où il profita d’un « soleil exceptionnel » et prit un « bain de foule gigantesque » sur les quais. Il revint le 30 avril 2015 pour inaugurer le Campus des métiers à Guipavas et le Campus des métiers de la mer au lycée Vauban, mais son passage le plus mémorable reste celui du 17 février 2017 où, dans le cadre de son dernier voyage présidentiel en Bretagne, il visita la médiathèque des Capucins, saluant un « lieu sublime par son histoire et par son ouverture sur la culture et sur l’avenir ». Alors que sa popularité était en berne au niveau national, il fut applaudi et accorda « selfies, accolades et même embrassades avec un public joyeux ». Le maire le remercia pour ce troisième voyage « quand d’autres ne sont jamais venus ». 

Emmanuel Macron (2017- ?) 

Brest n’est pas inconnue de notre actuel président qui visita le port de commerce peu avant son élection. Le 4 juillet 2017, une fois élu, il visita la base des sous-marins nucléaires de l’Île Longue, salua les ouvriers et plongea à bord d’un des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, rappelant au passage la « nécessaire permanence de la dissuasion du pays ». À ce jour, il s’est déjà rendu quatre fois en Bretagne sans repasser par Brest, mais son mandat n’a pas encore pris fin… 

 

Benoît Quinquis

Sources : Archives municipales de Brest 

Visiteurs de marque, Les Cahiers de l’Iroise n°233, Brest, SEBL, juillet 2019