CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2024 – « Ljósbrot » : Salvatrice lumière

Ljósbrot - Una
© Compass Films

UN CERTAIN REGARD – Après la projection de Moi aussi, le court-métrage de Judith Godrèche, en début de soirée, c’est le réalisateur islandais Rúnar Rúnarsson qui ouvre cette année la sélection parallèle Un certain regard avec Ljósbrot.

Le film s’ouvre sur un coucher de soleil au-dessus de la mer infinie et glacée d’Islande. L’un contre l’autre, Una (Elín Hall) et Diddi (Baldur Einarsson) le contemplent, partageant précieusement cet instant suspendu. La tentation de prolonger cette soirée d’été est grande, mais il est temps de rentrer. La journée qui suit s’annonce décisive pour le couple. Una a cours le lendemain. Elle étudie l’art ; Diddi aussi, officiellement. Si cela fait un moment que le jeune homme ne se démarque pas par son assiduité, une tâche non moins notable l’attend.

Il doit se lever tôt, prendre la route et annoncer à Klara (Katla Njálsdóttir), sa petite amie, qu’il la quitte. Car derrière la sérénité offerte par ce soleil couchant, l’amertume plane. Une fois de plus, Una et Diddi se voient en secret. Une fois de plus, mais c’est la dernière : à partir de demain, leur relation s’officialisera. Du moins, c’est ce que le couple pense. Avec Ljósbrot, Rúnarsson met en scène la douloureuse soudaineté d’un événement violent et la rapidité avec laquelle une existence peut ainsi basculer de la lumière à la noirceur.

Ljósbrot 
© Compass Films
© Compass Films

La pénombre du deuil

Ne plus se cacher, se balader, voyager autour du monde. Les îles Féroé, le Japon… et des enfants ? Lors de leur dernière nuit, Una et Diddi se sont fait ces promesses d’avenir qui marquent le temps d’une touche solennelle, impalpable. Une fois que Diddi aura parlé à Klara, tout sera plus simple. L’avenir paraît lumineux, et follement attrayant. La réalité est autre. C’est bien la dernière soirée que le couple partage, mais pour une raison différente : le lendemain, aux premières lueurs de l’aube, un violent accident de voiture bouleverse les rêves et les possibles. Diddi est mort, et il n’y a pas eu de rupture avec Klara. Le choc est d’autant plus terrassant et plonge un temps Una dans la pénombre : même son deuil doit se faire en silence.

En prenant intelligemment le temps de déployer son scénario, Rúnarsson explore l’amour, la vie et la mort sous différents prismes. Il montre la manière dont une petite amie, un ami, une autre petite amie, ou encore des parents, peuvent réagir à la brusquerie d’un décès et tenter de traverser cette épreuve. Le cinéaste ne balaie pas les semaines ou les mois. Au contraire. Il s’attarde sur l’instant. Le film s’étend sur les quelques jours qui suivent la mort de Diddi, permettant de sonder les aspérités des personnages. L’on plonge dans les états d’âmes et les introspections au rythme réel de leurs évolutions.

Ljósbrot 
© Compass Films
© Compass Films

L’art, ultime exutoire

Klara, qui rejoint la bande de Diddi pour commémorer celui qu’elle pensait être l’homme de sa vie, questionne Una sur un point particulier. En quoi les performances, ces expérimentations qu’Una et Diddi imaginaient et que la jeune femme a choisi d’étudier, peuvent-elles être qualifiées d’artistiques ? Certaines ne seraient-elles pas tout simplement inconséquentes — boire des shots de vodka en public jusqu’à en vomir, par exemple. Il faut alors qu’Una lui fasse vivre intérieurement l’une de ces expériences. Et Klara de saisir à son tour ce qui unissait les membres de la bande : créer, et goûter physiquement et émotionnellement ce que cette création a d’unique. L’art les rassemble, leur permettant ainsi de se libérer des joies et des peines qui les meuvent, sans avoir à les expliquer par des mots.

C’est d’ailleurs l’une des forces de Ljósbrot : les dialogues sont brefs, directs, sans artifices. Rúnarsson joue avec les non-dits. L’implicite passe par une image soignée, et par une bande originale qui imprègne les mouvements des personnages. En témoigne la séquence de danse sur fond d’une musique techno, à la tombée du jour, durant laquelle Una sombre devant le groupe — et devant Klara, qui est la première à la rassurer — dans une agitation physique et psychique dense et autant inconfortable que libératrice. Pas de mots, ou peu : les gestes des uns et des autres suffisent à percevoir son trouble. La pratique artistique en elle-même surpasse l’explication verbale.

Ljósbrot 
© Compass Films
© Compass Films

Littéralement, Ljósbrot se traduit de l’islandais par « réfraction de la lumière ». Un choix de titre fort à propos, pour un film qui manie et utilise presque la lumière et son impact comme l’un de ses personnages. Avec justesse et subtilité, Rúnarsson met en valeur cet élément impalpable interférant, à son échelle, dans les relations. Klara le souligne, face au soleil couchant : « C’est comme si Diddi était le soleil, et qu’on lui disait au revoir.  » Una et la bande le comprennent : la moindre frange de lumière peut aider à surmonter l’épreuve.

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