Le loup de retour au pays de la bête du Gévaudan
Chronique

Le loup de retour au pays de la bête du Gévaudan

CHRONIQUE CHAMPÊTRE. En France, les loups, répartis sur une soixantaine de départements, font 12 000 victimes recensées chaque année, induisant d’innombrables dommages collatéraux.

Temps de lecture : 5 min

Les jours de foire, c'était toujours la même chose : après la traite, vers 7 heures du matin, le bol de soupe au lard, le morceau de bleu, le saucisson découpé sur l'aire d'un pouce, le canon de rouge, le claquement sec du couteau qu'on referme, la main passée entre le front et le béret, la veste que l'oncle allait chercher dans l'armoire des dimanches. Celle en velours noir, celle des foires à Nasbinals, à Aumont-Aubrac, à Malbouzon, à Saint-Chély-d'Apcher. À l'intérieur, juste sous l'encolure, une image associée à la marque du vêtement et, comme souvent ici en Margeride, à la bête du Gévaudan. Car les légendes ont la peau dure et ce n'est pas une balle, fût-elle en argent comme celle soi-disant utilisée en 1767 par Jean Chastel pour abattre l'animal le plus recherché de France, qui en aura raison.

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Il faut, pour s'en persuader, avancer la nuit dans l'éther des forêts quand les arbres, en craquant comme des bancs d'église, nous font soudainement sursauter. Là, dans ce pays de granit, de tourmentes, de pins douglas, de hêtres et de genêts où, en 1977, entre la Croix de la Rode et le lac de Born, Albert Pégorier tua ce que l'on croyait être le dernier loup de l'Aubrac.

Le capital sympathie du loup

Cette année-là, des vaches et des veaux sont régulièrement attaqués. Le paysan est autorisé par les pouvoirs publics à faire usage de son fusil. Un matin, sur le puech derrière la ferme, les chiens aboyant plus qu'à l'accoutumée, Pégorier tira donc deux fois et entra, pour ainsi dire, dans la légende. Les éditions Gergovie publieront même une carte postale où on le voit poser à côté du loup abattu. C'était juste deux ans avant que la convention de Berne décrète la protection de l'espèce et remette en cause tout ce que nos anciens ont fait pour éradiquer une menace à la fois historique et endémique.

À LIRE AUSSI Ce jour où l'homme scelle une alliance avec le loupLa suite, nous la connaissons tous avec ce capital sympathie, largement relayé par les mouvements écologistes, dont bénéficie le Canis lupus auprès des populations, toutes générations confondues, depuis presque un demi-siècle. Un loup désormais sanctifié, de ces livres où il sympathise avec le Petit Chaperon rouge à ces parcs animaliers d'où il s'est échappé, près de Marvejols, en 2016. « Le double grillage qui entoure la partie scientifique du parc à loups de Sainte-Lucie a été intentionnellement découpé dans la nuit du lundi 7 au mardi 8 mars, à grands coups de tenailles. Le câble métallique qui maintient le cadenas du portillon de visite a été également sectionné. La serrure a été totalement démontée », relate La Lozère nouvelle dans son édition du lendemain.

S'ensuit un comptage des individus. Six se seraient échappés sur les 42 résidant sur ce site censé en héberger 32. Au pays de la bête du Gévaudan, une telle approximation passe mal et les syndicats agricoles montent alors au créneau, dénonçant une évasion de loups de Mongolie de toute évidence provoquée intentionnellement. De nouvelles attaques sont immédiatement redoutées sur les troupeaux après celles déplorées l'année précédente avec 300 brebis tuées par des loups sauvages de lignée italo-alpine.

En relation ou pas avec l'escapade de 2016, courant juillet 2018, l'ONCFS (actuel OFB, Office français de la biodiversité) reconnaissait officiellement la présence d'un loup de lignée balte en Lozère, plus précisément en Margeride. Dans son communiqué, l'organisme précisait même avoir l'intention de le retirer de ce milieu puisque ce n'était pas son milieu naturel.

Le « comptage politique » du loup par l'OFB

Mais le loup a la peau dure et avec lui, tous ceux qui, spécialisés dans la promotion de quelques idéaux environnementalistes, sont prêts à voir sacrifier nos élevages traditionnels moyennant la réintroduction de l'espèce. Résultat des courses, un cinquième plan loup vient d'acter la nécessité de revoir les indemnisations, la protection des troupeaux et les méthodes de comptage, sources de conflits entre éleveurs et Office français de la biodiversité. En juillet 2023, dans une lettre ouverte adressée au ministre de l'Agriculture, le collectif Pâturage et biodiversité, qui regroupe des associations d'éleveurs de plusieurs départements, dénonçait à ce propos « un comptage politique » : « L'OFB annonce une baisse des effectifs de la population de loups, passant de 921 à 906. Se manifeste ainsi une envie de ne pas passer officiellement le cap symbolique des 1 000 individus, sachant bien évidemment que c'est le cas depuis longtemps. »

À LIRE AUSSI Loups : la chasse aux idées faussesMessage de toute évidence reçu par l'OFB, qui réévaluait son comptage quelques mois plus tard avec 1 104 loups annoncés cette année-là contre… 25 en 1999. Sachant que, depuis 2017, le taux moyen de croissance annuelle de la population lupine est de 24,9 % en tenant compte d'un quota d'abattage établi à 19 %. Et si ce cinquième plan loup est présenté comme favorable aux éleveurs par des avancées sur les tirs de défense, il demeure illusoire tant que le plafond de prélèvement n'est pas augmenté, comme le réclame la profession.

Des loups répartis sur une soixantaine de départements où 12 000 victimes sont « officiellement » recensées chaque année en France, induisant d'innombrables dommages collatéraux, car traumatisants au sein des troupeaux. Avec, ce que redoutent les agriculteurs, le repli de l'élevage extérieur vers un élevage en bâtiment, les loups n'étant pas exposés à un risque létal et contournant aisément les mesures de protection classiques (coût annuel 30 millions d'euros à la charge des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement) pour sévir impunément dans un territoire ouvert et volontairement réensauvagé.

Une population lupine qui pourrait franchir officiellement la barre des 2 000 individus à l'horizon 2028. Et des risques reconnus par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui déclarait récemment : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions européennes est devenue un réel danger pour le bétail et, potentiellement, pour l'homme. » Reste à savoir qui, du discours ou de la loi, l'emportera in fine. Avec une procédure de déclassement probablement laborieuse qui doit être validée par le Comité de la convention de Berne et, à l'unanimité, par les États membres du Conseil de l'environnement.

À LIRE AUSSI Quand la Bretagne crie au loup

Pour ne citer que ces deux départements, en 2023, 266 animaux d'élevage ont été attaqués par le loup en Aveyron et 286 en Lozère. Les jours de foire, entre deux conversations où l'avenir du métier se montre plus souvent sans dieux que sans nuages, les paysans, veste en velours noir posée sur l'épaule, évoquent désormais ces attaques que les anciens n'auraient jamais tolérées. Cousue sous l'encolure, la bête est toujours là qui montre ses crocs et menace l'élevage, protégée par ceux qui n'en vivent pas.

* Jean-Paul Pelras, tour à tour maraîcher, syndicaliste agricole, écrivain, auteur d'une vingtaine d'ouvrages et journaliste, est régulièrement sollicité par les médias pour s'exprimer sur les questions agricoles et sur la ruralité.

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Commentaires (15)

  • le couperet

    Le loup un prédateur ? Pas besoin de réfléchir pendant des heures pour voir qui de la race humaine ou du loup est un prédateur.

  • carvalat2

    Choper ces écolos qui se livrent à des manifestations interdites et autres dégradations.
    Les expédier dans ces terres d'élevage, muni d'une simple robe de bure et de sandales, avec bien sûr l’Évangile de Sainte Greta.
    Qu'ils convertissent les loups au véganisme.
    S'ils ont du succès : les loups pourront se nourrir et les brebis survivre.
    S'ils se font bouffer par les loups : les loups pourront se nourrir et les brebis survivre.
    Et à nous, ça nous fera des vacances.

  • AllonsBon

    Comme d’habitude, « on » attendra qu’il ait un mort et des blessés humains pour commencer à réfléchir … En attendant, on va confiner les animaux alors qu’on avait des bêtes superbes qui donnaient un lait magnifique. Aberrant !