Mort de Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille

Mort de Jean-Claude Gaudin, l’Ogre de Marseille

Après plus de 50 ans de vie politique, dont la moitié à la tête de Marseille, celui qui a longtemps incarné la deuxième ville de France est mort à l'âge de 84 ans.

Par

Temps de lecture : 9 min

La politique est (aussi) un théâtre, et Jean-Claude Gaudin, qui vient de disparaître à l'âge de 84 ans, en fut l'un des grands sociétaires. « Dans les hémicycles, on cultive, de fait, un côté théâtral, nous confiait en mars 2021 ce grand raconteur d'histoires. Il faut séduire. Mais cela ne s'improvise pas. En 1981, tout frais président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, je dois répondre au discours de politique générale de Pierre Mauroy. C'est la première fois que je m'exprime devant un hémicycle fourni. Par précaution, je lis la première page de mon discours tête baissée ; à la deuxième, je lève la tête et je ressens l'hostilité des élus de la nouvelle majorité issue de la “vague rose”. Mais à la fin, les députés RPR-UDF m'ont applaudi, ils se sont même levés, enfin en vous le disant, j'ai un doute sur ceux du RPR… »

La newsletter politique

Tous les jeudis à 7h30

Recevez en avant-première les informations et analyses politiques de la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Durant des décennies, Jean-Claude Gaudin roula sa voix tonitruante, qui dévalait comme un torrent rocailleux, dans les chambres et antichambres de la République. Son accent marseillais servit tout autant sa carrière que l'accent anglais fit celle de Jane Birkin. « Je n'ai jamais rencontré Jane Birkin, nous rétorqua-t-il un jour du tac au tac, avec le sens de la repartie qui le caractérisait, quand on le chercha un jour sur le sujet. Mais Charles Pasqua, lui, je l'ai bien connu. Quand nous voulions amuser la galerie dans la salle de conférences au Sénat, on se mettait à parler en anglais, ce qui faisait tordre de rire les gens autour. »

Gaudin manquera à la politique, comme la politique lui manquait dès qu'il s'en éloignait. Il fallait le voir, tout juste retraité, tourner comme un lion en cage dans sa maison du quartier populaire de Mazargues, celle-là même où il naquit, le 8 octobre 1939, modeste bâtisse encastrée à l'angle de deux ruelles construite par son père, artisan maçon, et qu'il n'avait jamais quittée.

C'était sa tanière, emplie de souvenirs personnels, de petits soldats napoléoniens, de santons de crèche, une photo en premier communiant côtoyant des portraits d'affiches électorales… Y trônait un talisman qu'il avait conservé bien en évidence sur son bureau, durant ses vingt-cinq années à la tête de la deuxième ville de France : la clochette de Gaston. Celle-là même que Defferre, son illustre prédécesseur, l'autre maire emblématique de Marseille, faisait tintinnabuler dans les conseils municipaux, lorsque le jeune Gaudin y entra en 1965.

Jean-Claude Gaudin, un homme politique en conquête perpétuelle

Avec la mort de Gaudin, c'est un pan de l'histoire marseillaise, et même de l'histoire de la droite française, qui s'en va. Car Jean-Claude Gaudin, dont le costume de notable avait fini par faire oublier qu'il était fils du peuple, fut un politique à la longévité exceptionnelle – ah, le cumul de mandats ! : plus de cinquante ans de carrière, onze ans à l'Assemblée nationale, vingt-huit ans au Sénat, douze ans à la tête de Paca, un quart de siècle à diriger la seconde ville de France…

On l'a donné dix fois pour mort et, dix fois, ce catholique convaincu – ses parents étaient des croyants fervents et engagés, dans le sillage du Sillon de Marc Sangnier, qui influença la démocratie chrétienne – ressuscita. On ne fait pas corps comme il le fit avec la ville de Monte Cristo sans être habité par le goût de la revanche et une ténacité sans failles. « Rien ne m'a été donné », nous disait-il lors de la sortie de ses Mémoires, Maintenant, je vais tout vous raconter (Albin Michel) en mars 2021.

De fait, la vie de cet homme fut une conquête perpétuelle. On le caricaturait volontiers en personnage bonhomme et pagnolesque, il s'en amusait et en usait, mais celui qui avait la politique dans la peau – et le cuir tanné – était avant tout un battant. Oui, un battant. Qui dut lutter d'abord pour s'élever socialement, en devenant professeur d'histoire et géographie. Qui dut, ensuite, se faire une place, seul, sans appuis ni réseaux, au départ – il saura bien vite combler ce handicap – dans une ville compliquée, dévoreuse de la chose politique et de ceux qui la font, puis dans un Paris où le gars du Sud se sentait méprisé.

Gaudin fit son apprentissage en observant « Gaston »

La première fois que Jean-Claude Gaudin fut élu, on l'a oublié, en 1965 donc, ce fut sur une liste d'union rassemblant des socialistes, des centristes et des indépendants, dirigée par le socialiste Gaston Defferre. « À cette époque, se souvenait-il, ne pas s'unir, c'était laisser le champ libre au Parti communiste. » Observer « Gaston » sera pour le jeune démocrate chrétien cultivant un sourire angélique le meilleur apprentissage. « Pendant plus de vingt ans, Gaston Defferre a été un homme de combat, propriétaire d'un quotidien qui le servait et détruisait ses adversaires, nous avait-il raconté un jour. Mais, sur le plan municipal, jeune élu, j'étais admiratif de la manière dont il gouvernait la ville. J'ai essayé de m'en inspirer. » Moins inspirante – quoique, a contrario… – pour lui sera l'épouse du maire, Edmonde Charles-Roux, faiseuse de rois littéraires et politiques, que Gaudin dépeint en grande bourgeoise méprisante et méchante dans le portrait assassin qu'il dresse d'elle dans ses Mémoires.

Gaudin est à droite, et la ville de Marseille est à gauche, depuis 1953 – même bien avant si l'on met de côté le mandat du maire RPF Carlini. Il lui faut attendre 1995 pour la ravir et faire tomber la deuxième ville de France dans l'escarcelle du camp conservateur. À partir de ce jour-là, « Jean-Claude », comme il aime que le peuple, « son » peuple l'interpelle quand il roule vitres baissées à travers la ville, « Jean-Claude », donc, se cramponne à son fauteuil, épuisant tous ceux qui tournent autour, au premier chef Renaud Muselier, longtemps considéré comme son dauphin et qui deviendra son meilleur ennemi. C'est humain. L'inamovible plie sous les quolibets des éditorialistes, mais ne se rend pas. L'Ogre, Cronos dévorant ses enfants, le « serial killer » de la droite marseillaise… La presse se déchaîne, Gaudin passe.

Une commedia dell'arte en chair et en os

De son bureau du Vieux-Port avec vue directe sur la « Bonne mère », Notre-Dame de la Garde, jouant de sa faconde, volontiers cruel, il décoche des coups de griffe à « ceux-là qui ont la tête tellement comme une montgolfière qu'ils ne passent plus dans la porte d'Aix », et ravit les envoyés spéciaux de la presse parisienne de formules goûteuses. Une commedia dell'arte en chair et en os.

« Ils veulent le scalp de Gaudin, ils ne l'auront pas ! », tonitrue notre homme juste avant les élections municipales de 2014. Les urnes n'ont pas encore parlé, mais le président Hollande dépêche des émissaires, la gauche commence à danser la Carmagnole sur la Canebière, Le Monde pronostique déjà en une la mort du roi… Jean-Claude Gaudin décroche 43 % des voix – contre 29 % à son adversaire socialiste Patrick Menucci et 25 % au FN Stéphane Ravier –, raflant six des huit secteurs de la ville. Son meilleur score.

Gaston Defferre, Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen – battus tous deux aux régionales de 1992 –, Jean-Noël Guérini, Charles-Émile Loo… Gaudin aime bien se frotter aux coriaces. «  On se grandit de la “taille” de ses adversaires », dit-il. L'homme parle, respire, dort politique. Comme Chirac, il n'est jamais au mieux de sa forme que quand on le sous-estime : il dévore. Au figuré comme au propre : on n'approche vraiment Gaudin qu'autour d'une table digne d'un banquet gaulois d'Astérix, derrière une grande serviette nouée autour du cou comme un rideau de théâtre.

Le maître des horloges

La politique, le Marseillais la cultive comme d'autres, les orchidées. Président des groupes parlementaires UDF et UMP à l'Assemblée nationale et au Sénat, responsable des investitures, il fait et défait les carrières. Ce Raminagrobis de la géographie électorale connaît les chiffres des derniers scrutins par cœur, ce qui lui permet de placer les rapports de force dans une évolution spatio-temporelle, et lui donne quelques longueurs d'avance sur ses rivaux – jusqu'à la fin, beaucoup n'intègrent pas toujours qu'il reste le maître des horloges. C'est avec ces lunettes-là qu'il toise ses adversaires. Mais aussi qu'il les respecte. Quand ils sont à la hauteur.

C'est ainsi qu'il ne cultivera aucune rancune à l'endroit de Bernard Tapie. « En 1992, aux régionales, se souvenait-il un jour devant nous, Tapie avait fait dans les Bouches-du-Rhône 28 % des voix, et la liste Gaudin 27 % – mais j'étais en tête à Marseille alors face à 10 listes concurrentes. Deux ou trois mois après, Tapie vient me voir. “J'ai amené 32 élus, 20 sont des socialistes, ils sont incurables, reste une douzaine, me dit-il. Ceux-là, ils vont venir avec vous.” Voilà un geste que je n'ai pas oublié. À partir de ce jour, je n'ai jamais plus eu de différend avec Tapie. »

La loyauté, dont il s'enorgueillissait vis-à-vis de sa famille politique, et le goût de la politique à l'ancienne poussaient cet homme, qui se flattait de pratiquer « le pardon des offenses », de traiter certains adversaires, même farouches, avec égard. Ainsi en était-il de Jean-Luc Mélenchon. Dont il nous parlait de la façon suivante, en juillet 2019 : « En 1978, quand je rejoins pour la première fois l'Assemblée nationale, entre, en même temps, le communiste Guy Hermier. Nous étions tellement éloignés sur le plan politique que, quand nous nous croisions, nous ne parlions que de sujets marseillais. Eh bien, avec Jean-Luc Mélenchon, c'est la même chose. Nous n'avons pas du tout les mêmes convictions politiques, mais nous siégions ensemble au Sénat. Il est maintenant député de Marseille, j'en suis le maire, et nous nous entendons pour parler des dossiers marseillais. Est-ce un crime ? Jean-Luc Mélenchon est un talentueux orateur, il rassemble les foules, il aura des partisans, mes amis politiques seraient bien inspirés de s'en rendre compte. »

Jean-Claude Gaudin et la tragédie de la rue d'Aubagne

L'homme aurait sans nul doute voulu mourir en scène, terrassé par exemple en jetant un coup d'œil derrière le rideau de son bureau de l'hôtel de ville à la « Bonne Mère ». Il aura (re)poussé jusqu'au bout les limites de sa vie politique, défiant sans cesse les pronostics électoraux et… médicaux. Las, même un grand acteur ne peut rester longtemps en scène impunément. Il avait beau dire que « Gaston » s'accrocha plus longtemps que lui – 36 ans contre 25 ans –, comme toutes les longues fins de règne depuis l'Empire romain, les derniers mois furent désolants. Et endeuillés par l'affreux drame de l'effondrement des immeubles de la rue d'Aubagne, qui fit huit morts, tragédie dont le maire ne put jamais se remettre, politiquement et personnellement.

Sans jamais être parvenu à installer un héritier, en l'occurrence une héritière, Martine Vassal, la présidente du conseil départemental, qu'il a connue enfant, il devra céder son écharpe tricolore à un collectif hétéroclite de citoyens emmené par une inconnue, Michèle Rubirola, et, après son retrait surprise, au jeune socialiste Benoît Payan. Bons politiques tous les deux, Gaudin et Payan se feront assaut d'amabilités.

Après, il faudra laisser le temps faire son œuvre. Et peut-être Jean-Claude Gaudin aura-t-il un jour une rue ou une statue à son nom, comme Amable Chanot, le premier maire de droite (1902) de la ville. Qui sait ? « Durant mes mandats, nous avait-il dit une fois la retraite venue, je me suis toujours efforcé de donner des noms de rue à des personnalités qui avaient œuvré pour Marseille quelle que soit leur étiquette politique. Peut-être cela m'arrivera-t-il aussi un jour. Rien ne presse. » En gaudinie, non, rien ne presse.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (14)

  • ultracrépidarien

    Tous les enfants marseillais se sentent veufs.

  • INTERSTELLAR

    Bon débarras.

  • INTERSTELLAR

    Bon débarra.