Les sommets emblématiques du massif du Mont-Blanc : le mont Blanc
Par Philippe Poulet
Publié le 19 mai 2024 à 08:00
Considéré comme « le pire sommet pour un amoureux de la montagne », l'ascension symbolique du mont Blanc (4 808 m) en inspire pourtant plus d’un puisqu’il est estimé que 20 à 25 000 prétendants se ruent chaque année sur ses flancs, principalement par la voie normale du dôme du Goûter, réellement prise d’assaut chaque jour par des centaines d’« alpinistes », toutefois le plus souvent « en herbe »…
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Le plus risible dans l'histoire, c’est qu’ils sont tous attirés par l’appellation marketing usuelle de « toit de l’Europe », une bien belle fake news comme on dit aujourd’hui, puisqu’il est systématiquement oublié de mentionner « toit de l’Europe occidentale » car, à l’échelle du réel continent géographique, cinq autres sommets dépassent largement en altitude le mont Blanc avec comme réel point culminant européen l’Elbrouz et ses 5 643 m dominant le Caucase russe.
L’emblématique dôme bien rond est donc aujourd’hui la première victime de son succès dû à deux facteurs principaux : la faible difficulté technique de l’itinéraire classique le plus largement emprunté (PD) et surtout l’édification du refuge du Goûter à un emplacement (économiquement) stratégique pour tenter l’ascension. Sans ce confortable bâtiment de 720 m2 sur quatre étages et capable d’accueillir 120 personnes chaque nuit, les velléités des postulants seraient en effet nettement revues à la baisse…
Aujourd’hui se pose ainsi l’inextricable problématique d’un choix compliqué entre la large manne financière que représente ce sommet (et le massif en général) pour les communes de Chamonix et Saint-Gervais-les-Bains, versus la préservation de cet espace sauvage de haute montagne en passe d’être peut-être classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
À cela il faut ajouter que même facile, cette ascension expose à d’importants risques liés à l’environnement et que les néophytes d’un jour ne peuvent pas vraiment appréhender : tout commence par la traversée « roulette russe » du couloir du Goûter canardé par d’incessantes chutes de pierres, suivie d'un à deux jours en haute altitude sans forcément être correctement physiquement préparé et acclimaté à un tel effort sur la durée. Le taux d’échec est donc conséquent, estimé aux deux tiers des postulants, et l’accidentologie est en rapport avec la surfréquentation du lieu, avec essentiellement des pathologies liées au « mal des montagnes » et à l’épuisement. Bien sûr, cela est sans compter sur l’aspect « stade d’athlétisme » que lui attribue la nouvelle race des coureurs à pied qui font juste oublier à l’immense majorité de leurs fans que l’évolution se fait ici dans un véritable – et donc dangereux – terrain de haute montagne. Chaque année, quelques « baskets-short-pipette » payent ainsi de leur vie leur inexpérience et manque d’appréciation des risques encourus.
À cheval entre France et Italie, l’emplacement exact de la frontière sur le sommet du mont Blanc fait d’ailleurs toujours l’objet d’un litige entre les deux pays… En effet, depuis 1865, les cartographes français ont décalé vers le sud le tracé de la démarcation attribuant ainsi, sans aucune base légale, le sommet à la France. Les cartes italiennes indiquent, elles, la frontière « normale » telle qu’elle fut édictée en 1860 par le traité de Turin lors de la cession de la Savoie à la France.
Comme tous les hauts sommets, à l’époque, le mont Blanc était alors considéré comme une montagne maudite, lieu de refuge des diables et des démons. Les toponymies actuelles en sont d’ailleurs toujours largement inspirées tel le mont Maudit (4 465 ou 4 468 m), proche sommet du mont Blanc. Après de nombreuses tentatives d’ascensions, il fallut attendre le 8 août 1786 pour que deux Chamoniards, le cristallier Jacques Balmat et le docteur Michel Gabriel Paccard, parviennent en haut du mont Blanc en empruntant l’itinéraire « des Rochers Rouges ». Le but principal de l’aventure était alors d’effectuer quelques prélèvements géologiques mais surtout de trouver la route vers le sommet. Avec cette victoire, ils empochèrent ainsi la récompense promise par le suisse Horace Bénédict de Saussure, un scientifique totalement obnubilé par cette conquête et qui l’année suivante, en 1787, mit sur pied une véritable expédition employant 18 guides et porteurs chargés d’acheminer de nombreux matériels : tentes, lits, échelles, instruments scientifiques… Le 3 août, ils parviennent au sommet qui est alors mesuré à l’aide d’un baromètre à l’altitude de 4 775 m, un calcul remarquablement précis pour l’époque !
Aujourd’hui, des campagnes de mesures sont menées régulièrement en utilisant tous les moyens modernes d’acquisition. Il est ainsi établi que l’altitude du sommet fluctua ces dernières années entre 4 806,03 et 4 810,90 m selon l’épaisseur de la couche de neige sommitale qui peut varier d’une vingtaine de mètres. La dernière altitude relevée le 29 septembre 2021 indique 4 807,8 m à +/- 0,1 m, arrondie à 4 808 m. Le sommet en rocher, mesuré par carottages et vues radars, est, lui, précisément à 4 792 m.
Du point de vue de l’alpinisme, l’activité qui nous concerne en premier lieu, environ la moitié du mont Blanc, soit son large versant nord, ne présente que peu d’intérêt technique, d’où la concentration d’alpinistes « d’un jour » dans la nasse de la voie normale. Seule l’option prise par certains guides de passer par les trois monts (Tacul, Maudit et Blanc) depuis l’aiguille du Midi permet de densifier un peu l’ascension tout en limitant les risques si l’itinéraire est fait en aller-retour, en évitant ainsi de s’exposer à la mitraille du couloir du Goûter.
Pour commencer à taquiner réellement du piolet et du coinceur, il faut donc s’orienter plutôt sur le vertigineux versant italien, sud et est, où sont tracées quelques-unes des voies de référence du massif, et même des Alpes : Brouillard, Innominata, Freney, Peuterey, Grand Pilier d’Angle, Poire, Brenva… La raideur rocheuse ou glaciaire en ferait presque oublier le gros « monticule de neige » visible du côté français…
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