Au début, elle y est allée sans se méfier, pour s'amuser. Dans la foulée d'une rupture houleuse avec le père de ses enfants, Mathilde* a commencé à batifoler avec un collègue qu'elle connaissait bien. Elle pensait s'engager sur un terrain calibré à ses attentes : se sentir de nouveau vivante et vibrante. L'objectif fut rapidement atteint.

"Et puis est arrivé ce moment où, si la personne n'est pas là, on ne s'en fiche pas, raconte-t-elle. J'ai un peu lutté contre mes sentiments car, à peine séparée, je ne voulais absolument pas m'engager."

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Mais à bas bruit, l'amour avait fait déjà son nid et quand elle s'en est aperçue, il était trop tard pour rebrousser chemin. La quarantenaire aux cheveux qui virevoltent a dû l'admettre : elle était amoureuse. En rembobinant le début de l'histoire, elle s'amuse de voir que le scénario était des plus prévisibles : "Les liens d'amitié, de complicité et de partage entre nous étaient déjà forts. Alors quand en plus tu t'éclates dans l'intimité, pas étonnant que ça s'emballe." Elle n'a pas freiné.

Ressentir à nouveau ce trouble imperceptible, se laisser bouleverser par un regard, capter une infime inflexion de voix qui murmure un désir balbutiant, oser se lancer, s'attacher, construire un nouveau couple... Rapidement, comme Mathilde, ou des années après la fin d'une relation, l'amour est ainsi fait que, pour peu qu'on ne lui fasse pas barrage, il a cette capacité à revenir comme la marée, même quand on n'y croyait plus, qu'on se persuadait que son tour était passé...

Comment retrouve-t-on l'amour et le retrouve-t-on d'ailleurs à l'identique ? À défaut de pouvoir livrer le mode d'emploi infaillible – on l'aurait fait avec bonheur s'il existait – voici quelques expériences et rappels pour se mettre sur les bons rails.

On peut tomber amoureux à l'inifini

Première bonne nouvelle, le cerveau peut réenclencher le processus de tomber amoureux à l'infini. "C'est quasiment automatique, confirme Bernard Sablonnière, professeur de biologie moléculaire et auteur de La Chimie des sentiments (Éd. Odile Jacob). Lors d'une rencontre, la dopamine prend très vite le dessus sur le stress pour activer le circuit désir-plaisir."

Une petite ruse chimique qui force à voir les côtés positifs... et donc favorise le passage à l'acte. L'ocytocine est l'autre grande hormone qui joue un rôle clé : "Elle favorise la confiance en l'autre et l'attachement qui permettent de poursuivre une relation, parfois toute une vie".

Dans son ouvrage Les Débuts, par où recommencer ? (Éd. Autrement), Claire Marin ne dit pas autre chose même si elle l'éclaire au prisme de la philosophie : "Et nous voilà, au milieu de la vie, à faire les idiots par amour comme si l'on avait 20 ans. Des histoires commencent comme si c'était la première fois. Avec une intensité telle que les fois précédentes pâlissent, s'effacent devant tant de splendeur. (...) Alors, quel que soit mon âge, je peux aimer comme si je n'avais jamais aimé auparavant, porté par une ardeur adolescente. Soudain, tout peut de nouveau commencer."

Même avec vingt ans d'écart, les surgissements de l'amour saisissent souvent à l'identique.

Le corps, le cœur et l'âme les reconnaissent immédiatement. Ils adviennent malgré notre volonté. Malika file le parfait amour avec Adrien depuis cinq ans. Elle a un souvenir très net de ce qu'elle a ressenti deux ans avant que les hasards de la vie ne rendent possible leur relation. "La première fois que je l'ai vu, il entrait dans un restaurant, un truc s'est allumé alors que j'étais complètement éteinte à l'époque. C'était totalement irrationnel, j'ai su que j'étais amoureuse de lui. J'ai toujours en tête le mouvement de son corps à ce moment-là."

Impossible de s'y tromper. Le même effet s'était produit quand étudiante, à 23 ans, elle avait, à une soirée, ouvert la porte au jeune homme inconnu avec qui elle allait partager une bonne partie de sa vie et avoir des enfants : "Un regard, une onde magnétique, pareil."

Être disposée à la rencontre pour pouvoir retomber amoureuse

Mais pour que cet instant éclose, il faut être disposée à se laisser surprendre. Si le hasard est une condition, il n'est que la première. Dans La Rencontre, une philosophie (Éd. Allary), Charles Pépin a délicieusement disséqué l'état d'esprit idéal, celui de "l'ouverture" : "Rencontrer quelqu'un, c'est se trouver projeté au seuil d'un monde nouveau, happé par l'envie de l'explorer ; c'est une invitation au voyage." Un voyage préparé de A à Z, sans place pour l'imprévu ou le pas de côté, n'en est jamais tout à fait un.

De la même façon, l'amour se présente rarement sous la forme de l'apparition qui coche toutes les cases : "Grand avec du style", "fait le ménage", "s'habille bien", "ne ronfle pas", "pas trop poilu mais pas chauve", "charmant mais pas niais"...

Combien de grandes histoires ne démarrent-elles pas contre toute attente ? C'est ce que racontent les phrases du type : "jamais je n'aurai cru qu'il me plairait", "ce n'était vraiment pas mon genre".. Et pourtant, si, il, elle lui a plu ! Anna, 53 ans, par exemple. Treize ans après la séparation d'avec le père de son fils et avoir vécu diverses histoires qui se sont effilochées, elle accepte un rendez-vous Tinder. Thierry n'est "pas sa came physiquement même s'il a une bonne tête", mais il a l'air sympa et présente l'avantage d'habiter dans sa région.

"Après toutes les galères, je n'attendais plus rien, j'y suis allée sans aucune pression, sans me dire : c'est le bon, ça va marcher. Et je n'étais pas non plus en recherche absolue pour refaire ma vie, j'avais un bon équilibre." Finalement, alors "qu'il ne cochait pas les critères sur le papier", Thierry "s'intègre très vite dans le paysage" ; depuis deux ans, "tout est évident, tout coule de source, tout est simple, comme si nous nous étions toujours connus". Avec le recul, Anna pense tout simplement qu'elle était "disponible" à la rencontre.

Ne pas se précipiter pour trouver vraiment l'amour

On ne prétend pas que c'est toujours aussi limpide. Caroline, 64 ans, trois belles histoires d'amour dans sa vie, ne trouve pour l'instant rien de bien concluant. "Les sites de rencontre, c'est comme la pêche à la ligne, tu mets un asticot et tu vois ce qu'il se passe, compare-t-elle avec humour. Bon, pour l'instant, ça ne mord pas beaucoup."

Dernières touches : un commandant de bord à la retraite qui tentait de l'attirer dans ses rets avec sa grosse maison, puis un médecin aux mains baladeuses dès le premier rendez-vous et avec une bonne dizaine d'années de plus qu'annoncé. Avec la patience du pêcheur, Caroline laisse son bouchon flotter...

Deuxième bonne nouvelle, les expériences passées offrent la possibilité de ne pas refaire les mêmes erreurs, à condition de se livrer à un minimum d'introspection. Une thérapie peut aider à y voir clair dans des schémas répétitifs et ses mécanismes d'auto-sabotage : "Ça va encore foirer", "je suis trop vieille", "je n'attire que les connards", "il va encore me tromper", etc. Toutes ces petites musiques négatives anticipatrices qui disent un manque de confiance sont autant de risques de se crasher une fois de plus... "Il s'agit de mettre de la conscience sur nos propres croyances et sur les validations de notre monde extérieur, celles des copines notamment", conseille Véronique Kohn, psychologue et autrice de Quel(s) amoureux êtes-vous ? Les 5 profils psychologiques pour aimer et être aimé, (éd. Tchou).

Aimer à nouveau, aimer différemment

Si on peut aimer à nouveau, on aime aussi différemment et c'est sans doute la meilleure façon pour que cela dure.

"Déjà, sans doute que je m'aime plus moi, constate Mathilde. Dans ma relation précédente, j'ai été un peu passive, je me calais trop sur le rythme de l'autre. Je m'affrme davantage tout en étant plus indulgente avec mes fragilités. Et cette indulgence vaut aussi pour mon nouvel amoureux : je l'aime pour ce qu'il est, pas pour mes manques qu'il viendrait combler ou réparer. "

Avec Adrien, Malika a aussi revu de fond en comble son fonctionnement. "Au début, je rêvais naïvement de mariage, d'une maison commune, lui pas du tout. Finalement, nous ne vivons même pas dans la même ville. Je sais aujourd'hui que si nous avions habité ensemble à temps plein, ça n'aurait pas tenu. Construire ma nouvelle vie amoureuse a un prix, celui d'accepter de revoir mes schémas."

Il a fallu comprendre qu'Adrien ne serait "pas le repère qui m'a manqué, il ne veut pas de ce rôle". Pas toujours de tout repos, mais en échange, il pousse Malika dans ses retranchements : "Plus ça va, plus je vais vers ma liberté profonde. Une fois enclenché, ce n'est plus négociable. Ne peuvent m'accompagner sur ce chemin que des personnes qui l'acceptent, lui compris."

Comme le rappelle Véronique Kohn : "Il y a deux conditions pour faire couple : la sécurité et – ou – l'intensité." Reste à mettre le curseur au bon endroit.

Les bienfaits de l'amour ne sont plus à prouver

Moult études scientifiques les ont validés. Cet état a une influence positive sur l'estime de soi, le bien-être, la santé, l'espérance de vie... Alors autant profiter de notre spécificité d'êtres humains qui fait de nous "des êtres capables de cet évènement sidérant : aimer ", comme l'écrivait la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque (Éd. Payot) . Celle qui a exploré avec tant de délicatesse les abîmes de nos désespoirs en était persuadée : "C'est l'amour qui nous tient debout dans cette vie d'où la nuit a reflué jusqu'à ne plus appartenir à aucun horizon possible, aucune parole humaine."

*Les prénoms ont été modifiés.