ENTRETIEN. Cette philosophe démonte le « mythe des femmes allumeuses » - Rennes.maville.com
Maville.com  par  Ouest-France
Accueil Info Info en continu ENTRETIEN. Cette philosophe démonte le « mythe des femmes allumeuses »

ENTRETIEN. Cette philosophe démonte le « mythe des femmes allumeuses »

...
photo  l’autrice rennaise christine van geen s’attaque au mythe de l’allumeuse dans un essai publié au seuil. 1

L’autrice rennaise Christine van Geen s’attaque au mythe de l’allumeuse dans un essai publié au Seuil. © Thomas Brégardis, Ouest-France

Dans son nouveau livre « Allumeuse, genèse d’un mythe », la philosophe rennaise Christine van Geen explique les origines de cette imposture associée aux femmes, encore cause et justification de violences sexistes, et invite à y mettre fin une fois pour toutes.

La philosophe rennaise Christine van Geen déconstruit l’archétype de l’allumeuse, de l’Antiquité à l’époque contemporaine dans son nouveau livre Allumeuse, genèse d’un mythe, paru au Seuil. Cete notion est omniprésente, des cours de collège aux tribunaux. Entretien.

D’où vient le mot « allumeuse » ?

Il a été inventé au XIXe siècle, par la police. Celle-ci désignait ainsi les prostituées, qui n’avaient le droit de commencer leur travail qu’au crépuscule, à l’heure où les gens « respectables » rentraient chez eux et où les employés allumaient les réverbères. Cette raillerie policière s’est perdue et le mot s’est mis à désigner une notion beaucoup plus ancienne : dans un contexte toujours pensé comme hétérosexuel, la femme détiendrait une espèce de magie pour attiser automatiquement le désir des hommes, sans qu’ils n’y puissent rien. Ce serait pavlovien. Et une fois le désir masculin allumé, il semblerait naturel et légitime qu’il soit consommé dans un acte sexuel.

L’idée de l’allumeuse existe donc depuis longtemps ?

Oui, c’est une image très ancrée, une représentation omniprésente dans l’art et la littérature. Dans mon ouvrage, j’évoque les Cassandre, Salomé, Galatée, Lolita, Lorelei qu’on a fait passer pour des allumeuses. À commencer par la première femme : Ève. On nous raconte qu’elle est à l’origine du mal, car elle aurait mangé la pomme interdite et tenté l’innocent Adam. Le christianisme a longtemps été très embarrassé par les notions de désir et de chair. L’idée que la femme soit celle qui suscite le désir était bien pratique.

Que dit la Bible en réalité ?

Que le serpent tente Ève, qui goûte la pomme. Puis qu’elle fait pareil avec Adam, qui croque aussi. Et qu’Adam et Ève se défendent tous deux d’un « ce n’est pas ma faute ». Cette histoire nous raconte que le mal n’est pas de croquer dans une pomme, mais de ne pas prendre ses responsabilités. Qu’à vouloir les fuir, on fabrique un coupable. Pourtant, on a seulement retenu : c’est la faute de la femme.

L’image de l’allumeuse déresponsabiliserait les hommes ?

En faisant des femmes le point de départ du désir masculin, on dédouane les hommes d’avoir à assumer leur désir de façon autonome. Regardez les écoles qui interdisent aux filles de porter jupes courtes et décolletés sous prétexte que ça déconcentre les garçons. Le mot « allumeuse » confère une toute-puissance au désir masculin. On détourne les yeux des hommes pour inculper les femmes.

Et le désir des femmes, alors ?

Dans cette façon de voir, le désir féminin est nié, il est vu comme accessoire. L’étincelle intérieure d’une femme, sa libido, son désir n’ont pas d’existence en eux-mêmes mais seulement pour ce qu’ils suscitent chez les hommes. Il n’y a pas d’« allumeur » au masculin, ni dans la langue, ni dans la pensée. Les stéréotypes virilistes nous montrent souvent les hommes comme des étalons constamment à la recherche de relations sexuelles, contrairement aux femmes cycliques, qui en ont moins envie.

Ce n’est pas le cas ?

Au Canada, des chercheurs ont demandé à des couples de tenir un journal évaluant leur désir et celui de leur partenaire. Les résultats sont loin du cliché de la femme qui a souvent la migraine. Notamment parce que l’étude montre que les hommes minimisent le désir sexuel de leur conjointe quand celui-ci est élevé. À cause d’une peur sous-jacente de ne pas le satisfaire et d’être « rejeté » à cause de cela.

Le désir des femmes et des hommes ne seraient pas de même valeur ?

C’est ça. On retrouve cette asymétrie dans la notion de consentement. Depuis #MeToo, on a beaucoup avancé sur le sujet, heureusement. Mais pourquoi ne parle-t-on jamais du consentement des hommes dans les relations hétéro ? Comme si les femmes devaient consentir au désir impérieux des hommes et que la situation inverse était impensable.

Vous dites que l’argument de l’allumeuse alimente la culture du viol ?

Si une femme est une allumeuse, l’homme n’a plus à se poser la question de son consentement à elle : « Elle m’a séduit donc je suis légitime à user de son corps. » La volonté des femmes est effacée. Toutes les victimes mériteraient les violences qu’elles subissent. C’est l’idée que la femme « l’a bien cherché », qu’on entend encore fréquemment dans les médias, et même dans les tribunaux.

On culpabilise la victime ?

Récemment, dans mon entourage, une jeune femme de 20 ans a été violée en discothèque par un inconnu. Quand elle a porté plainte, la policière lui a rétorqué qu’elle portait une robe courte. Pourtant, cela n’a rien à voir. De plus, si elle n’avait pas été en tenue de soirée, on ne l’aurait même pas laissée entrer en discothèque.

C’est paradoxal : il ne faut pas allumer, mais il faut séduire ?

On nous répète que pour être féminine, il faut être séduisante, désirable aux yeux des hommes. Sinon on est invisible, inexistante. Sauf qu’il y aurait un point à ne pas dépasser, au-delà duquel les femmes qui séduisent mériteraient les relations sexuelles qu’on leur impose contre leur gré. Où se situe ce point imaginaire ?

Selon vous, il n’y aurait pas « d’allumeuse » si hommes et femmes détenaient un pouvoir égal…

Beaucoup de femmes se retrouvent en situation de séduire pour obtenir des miettes de pouvoir ou de ressources auxquelles elles n’ont pas accès. Si elles avaient argent ou réseau, les femmes n’auraient pas besoin de tâcher de sourire, de plaire, d’être la plus belle du bal pour être vue. Regardez ce qui se passe dans les grands festivals de cinéma.

Vous parlez de la montée des marches ?

Depuis 1900, les hommes sont tous habillés pareil et ont exactement la même allure : smoking noir et blanc. Des pies. Alors que les femmes sont parées comme des oiseaux de paradis. Le pouvoir n’est pas dans la séduction. On ne séduit que ceux qui ont le pouvoir et, inversement, ceux qui le détiennent n’ont pas besoin de séduire. Le chantage de l’allumeuse fait croire aux femmes qu’elles doivent exister face et pour le désir des tout-puissants, auxquels il ne faudrait pas déplaire.

Comment sortir du piège de l’allumeuse ?

Comment formuler une quelconque prescription ? Cela reviendrait encore à dire à celles qui n’ont pas fait ci ou ça qu’elles l’ont bien mérité. Difficile de dire aux femmes « écoutez-vous et cessez de plaire », alors qu’on vit dans l’injonction inverse depuis des siècles. Les femmes pourraient commencer par cultiver leurs désirs, avec joie et sans complexe. Et les hommes, par s’interroger sur le besoin de toute-puissance dont ils ont hérité.

Vous ne prônez pas la mort du désir ?

Au contraire ! Il faut se séduire, s’allumer, s’exciter, du moment qu’il y a deux personnes qui « allument » et deux qui sont « allumées ». Allumer, c’est vouloir aimer, se relier à l’autre. Exister avec cet autre, avec son corps propre, sa parole, son sexe, et tout son être. Dans une présence à l’autre et une présence à soi, dans une relation d’égalité et de plaisir donné et reçu, sans domination.

Repères

1975. Naissance aux Pays-Bas.

1993. Bac à Alençon après une scolarité dans l’Orne.

1996. Entrée à l’École normale supérieure. Devient docteure et agrégée de philosophie.

2014. Création, à Rennes, d’un tiers-lieu culturel avec des espaces de travail partagés : le Lavoir - Ateliers Réunis.

2021. Collaboration comme journaliste à Zadig, Causette, Métal Hurlant.

2022. Sortie du livre Je cuisine à la rennaise (La Nouvelle Bleue).

2024. Sortie de l’essai Allumeuse, genèse d’un mythe, Seuil, 192 pages, 20 €.

 
Propos recueillis par Audrey GUILLER.    Ouest-France  

Retrouvez d'autres actus sur la commune de :

  • merci d'indiquer un nom de film
    merci d'indiquer un titre'
    • Choisir un resto :
    merci d'indiquer un nom de restaurant

    merci de saisir l'adresse du restaurant
    merci de saisir la ville du restaurant

    • Choisir un bar :
    merci d'indiquer un nom de bar

    merci de saisir l'adresse du bar
    merci de saisir la ville du bar

    merci d'indiquer un titre à votre avis
  •  
  • merci d'indiquer un contenu à votre avis
    merci de saisir une note
    L'accueil / la qualité du service
    merci d'indiquer une note pour l'accueil

    L'ambiance / le décor

    merci d'indiquer une note pour l'ambiance

    Le rapport qualité / prix

    merci d'indiquer une note pour le prix
  • Vos données personnelles font l’objet d’un traitement informatique par la société Additi Multimedia, sur le fondement de l'exécution d'un contrat et sont utilisées notamment pour prendre en compte, modérer et répondre à vos commentaires sur les contenus mis en ligne sur le site. Elles seront conservées conformément à notre politique de données personnelles, sauf dispositions légales particulières. Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’opposition, de limitation et de portabilité, en vous adressant directement à pdp@sipa.ouest-france.fr ou par courrier à "Délégué à la Protection des Données Personnelles SIPA Additi Multimedia - ZI Rennes Sud-Est,– 10 rue du Breil – 35051 Rennes cedex 9". Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès de la CNIL. En savoir plus
Newsletter maville

Abonnez-vous à la newsletter - Rennes

Votre e-mail, avec votre consentement, est utilisé par la société Additi Multimedia pour recevoir les newsletters sélectionnées. En savoir plus

Exprimez-vous !

Débat : La vente de tabac interdite aux moins de 21 ans, pour ou contre ? 9
Réagir

L'info en continu

Quiz et jeux

Retour en haut