Festival de Cannes 2024 : un tremplin pour Quentin Dupieux 

Festival de Cannes 2024 : un tremplin pour Quentin Dupieux

« Le Deuxième Acte » de Quentin Dupieux sera projeté en ouverture du Festival de Cannes, le 14 mai. Un tremplin pour le cinéaste qui réalise plus vite que son ombre des films très rentables.

Par

Florence (Léa Seydoux) et le candide Willy (Raphaël Quenard).
Florence (Léa Seydoux) et le candide Willy (Raphaël Quenard).

Temps de lecture : 4 min

«Le cinéma, c'est cool, ça ne sert à rien », lâche en rigolant Florence (Léa Seydoux), qui doit présenter son petit ami, David (Louis Garrel), à son père, Guillaume (Vincent Lindon). Un quatrième larron, Willy (Raphaël Quenard) s'immisce entre eux. Il a pour mission de débarrasser David de Florence, car il n'en peut plus d'elle. Signe distinctif : ce Candide un peu perché a le chic pour mettre les pieds dans le plat.

La newsletter culture

Tous les mercredis à 16h

Recevez l’actualité culturelle de la semaine à ne pas manquer ainsi que les Enquêtes, décryptages, portraits, tendances…

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

C'est le pitch du Deuxième Acte, de Quentin Dupieux, qui ouvre le Festival de Cannes et sort simultanément en salle (le 15 mai). Un film dans le film à l'humour noir, difficilement racontable avec son twist coup de poing.

Des films à petits budgets qui rapportent gros

Après Yannick et Daaaaaali !, deux objets filmiques non identifiables, c'est le troisième opus en moins d'un an de ce cinéaste de 50 ans qui fourmille d'idées et réalise plus vite que son ombre, avec de petits budgets et le succès à la clé, y compris, donc, économique.

Et, en ce moment, il a la carte, comme on dit dans le métier, et s'offre même le super-tremplin de Cannes pour montrer, en ouverture de la plus importante compétition mondiale, l'envers du cinéma et son vrai-faux rapport à la réalité. Et hors champ, l'effet miroir est terrible, voire cruel, encore plus au moment où le cinéma français est à nouveau en pleine crise #MeToo.

Drôle d'Oizo

Venu au cinéma par la musique électro sous le pseudonyme de Mr. Oizo (célèbre pour son tube « Flat Beat », dont il fit la BO d'une pub pour Levi's), cet ex-cador de la French touch a le goût du bizarre et de l'imprévisible. Le talent, aussi, pour convaincre les acteurs de le suivre.

Jean Dujardin a accepté de dialoguer avec un blouson à franges (Le Daim) ; le duo de Palmashow, de dresser une mouche géante coincée dans le coffre d'une voiture (Mandibules) ; et Gilles Lellouche ou Anaïs Demoustier, de mettre les collants fluo des Power Rangers (Fumer fait tousser).

Un jeu de la vérité risible et touchant

Dans Le Deuxième Acte, on est au milieu de nulle part en Dordogne : un restaurant avec quelques clients dans la salle. On tourne un film, et, entre deux scènes, les acteurs parlent boutique et surtout de leurs états d'âme.

Derrière la caméra, Quentin Dupieux les observe, les met à nu face à leur ego (démesuré), les confronte dans une sorte de jeu de la vérité à la fois risible et touchant. « J'en ai marre d'être acteur ! » gueule Vincent Lindon, qui se demande à quoi il sert dans ce monde au bord du chaos. Il craque, il est malheureux, se demande ce qu'il fait là.

Tout n'est pas du cinéma

Tout va mal jusqu'au moment où il apprend au téléphone qu'il a été choisi pour tourner avec un grand, grand réalisateur américain. « Paul Thomas Anderson me veut dans son film ! » Il n'en revient pas. Il va mieux. Ouf !

« T'a vu, t'es plein de tics », lui balance Willy/Raphaël Quenard. Entre eux deux, ça tourne au vinaigre, au nez en sang. Ce n'est pas du cinéma. Enfin, les quatre se remettent au boulot, conscients qu'il ne faut pas en rajouter, « déjà que les salles sont vides ».

Le figurant serveur a tellement le trac que ses mains tremblent et qu'il verse sans cesse le vin à côté des verres. Les acteurs se foutent un peu de lui, tentent de le rassurer. Ils n'ont rien compris.

Au scalpel

Ainsi va le tournage du film, cahin-caha, toujours sur le fil avec des artistes qui se demandent parfois ce qu'ils font là, dans la peau de personnages qui ne leur ressemblent pas. « Il faut séparer l'homme de l'artiste », lance l'un d'eux. Bien sûr. Quentin Dupieux les suit pendant soixante-quinze petites minutes.

Il aime le format court, est adepte d'un style direct, en roue libre, avec des situations loufoques et des dialogues au scalpel. « Un film est une prise d'otages, avouait-il au Point lors de la sortie de Yannick, en août 2023. Ce qui est légitime puisqu'on enferme les gens dans une salle. Et je trouve ça extrêmement prétentieux et un peu chiant d'enfermer le public trop longtemps. »

Alertes

Pas de temps à perdre, donc, pour épingler l'air (vicié) du temps avec ses éléments de langage, ses mots prohibés pour ne fâcher personne, ce politiquement correct qui nous paralyse, ce cinéma qui croit pouvoir changer le monde, et cette intelligence artificielle qui est sans pitié.

Pas de slogan pourtant, mais des alertes qui en disent long sur nous-mêmes. Quentin Dupieux ne se berce pas d'illusions. « J'aime bien le mot “légèreté”, avoue-t-il. Et je n'arrive pas à imaginer que faire du cinéma, c'est important […]. Je sais que ça fait du bien aux gens. Néanmoins, on ne sauve pas des vies. On ne fait rien. Voilà, je pense que je me la raconterais un peu plus si j'étais pompier, par exemple. »

Il y a plus de vingt ans déjà, Bertrand Blier montrait dans Les Acteurs l'envers du décor et mettait à nu Delon, Belmondo, Depardieu, Marielle, Balasko, Arditi, si forts, si fragiles. Dans un style plus loufoque, Michel Hazanavicius, invité à l'ouverture du Festival de Cannes 2022, pastichait le tournage d'un film de zombies dans Coupez ! Aujourd'hui, Pierre Niney fait de même dans la série Fiasco (Netflix), l'histoire d'un film qui vire à la catastrophe.

Il paraît que « les professionnels de la profession » aiment bien se moquer d'eux-mêmes, jouer la carte de l'autodérision salvatrice. Pas sûr. Dans Le Deuxième Acte, Quentin Dupieux enfonce le clou. Ils vont être servis.

En ouverture du Festival de Cannes, le 14 mai, et en salle le 15 mai.

Jackpot !

« Quand le film est bon et à bas prix, on a l'exemple d'un modèle économique original et, surtout, très rentable »,souligne Serge Siritzky, le président fondateur du site Cinefinances.info, auteur du blog Siritz.com et du livre Le cinéma était leur pays (Vérone).

Yannick, sorti en salle en 2023, est un cas d'école. Avec un budget prévisionnel de 925 000 euros et un tournage ultrarapide de six jours dans un théâtre, ce film de soixante-sept minutes a fait un beau carton avec 463 000 spectateurs.

« En prenant le prix moyen d'un ticket à 7,20 euros, ajoute Serge Siritzky, la recette s'élève environ à 3 250 000 euros, partagés entre les exploitants de salles et le distributeur, lequel prend 30 % de commission et reverse les 20 % restants aux producteurs et au réalisateur du film. »

À ces recettes viennent s'ajouter aussi les ventes aux chaînes de télévision et à l'étranger. Pour Yannick, selon Siritz.com, la rémunération de Dupieux n'était que de 10 000 euros (dont 1 000 euros d'à-valoir sur droits d'auteur et 9 000 euros de salaire de technicien) et seulement de 1 000 euros pour le scénario. Mais quel est son pourcentage sur les recettes ? Mystère…

Par ailleurs, les producteurs – Atelier de production (Thomas et Mathieu Verhaeghe) et Chi-Fou-Mi Productions (Nicolas Dumont) – avaient aussi financé le film sans le moindre apport extérieur, fait exceptionnel pour une fiction. 

« Le Deuxième Acte »

Quentin Dupieux détourne le procédé du film dans le film pour en faire une comédie dramatique. On est dans la fiction d'un tournage mais, hors champ, les héros ne se font pas de cadeau, se jettent des injures à la figure, se font des coups tordus. Dans le registre du cinéma miroir, Vincent Lindon, Louis Garrel, Léa Seydoux et Raphaël Quenard sont naturels, cash, servis par un scénario et des dialogues au cordeau. C'est drôle, cruel et sombre à la fois.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (2)

  • Falbala34

    Pas du tout d’accord avec vous !
    je me suis régalée et j’ai aimé ce regard qu’il porte sur ces artistes de seconde zone qui se prennent pour des intellos en regardant tout le monde de haut !
    vous n’avez jamais eu l’impression de vous être fait avoir, en sortant d’un spectacle ?
    Dupieux a fait dire tout haut à Quenard ce que beaucoup de personnes ont dû penser tout bas…

  • brigert

    Yannick est un petit film horriblement prétentieux ennuyeux alors que les critiques étaient dans l'ensemble dithyrambiques.
    Voyons le prochain qui va ouvrir le festival de Cannes.