Un Godard posthume au cinéma

Un Godard posthume au cinéma

Extrait de "Film annonce du film qui n'existera pas" JL Godard - 2023 - BlueBird Distribution
Extrait de "Film annonce du film qui n'existera pas" JL Godard - 2023 - BlueBird Distribution
Extrait de "Film annonce du film qui n'existera pas" JL Godard - 2023 - BlueBird Distribution
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Demain sortira en salles le dernier film que Jean-Luc Godard ait entièrement approuvé avant son décès, "Film annonce du film qui n'existerai jamais - Drôles de guerres", un essai cinématographique d'une vingtaine de minutes.

C'est le film posthume, le seul qu’il ait validé avant son suicide assisté en septembre 2022 en Suisse, un film d’une vingtaine de minutes réalisé avec l’aide de ses plus proches collaborateurs notamment Nicole Brenez. Un film qui avait été projeté l’année dernière à Cannes dans sa salle préférée, la salle Debussy, et ravi les amoureux de son cinéma. Un film qu’il est sans doute difficile, voire un peu vain, de regarder sans connaître Godard, ou sans en lire au moins une forme d’exégèse, un film dont on hésite quand on est comme moi ni ignorante ni amoureuse du cinéaste, à qualifier: à la fois rebuté par son hermétisme, et séduit par ce qu’il semble représenter de la manière du grand maître.

Le film s’appelle : “Film annonce du film qui n’existera jamais - drôles de guerres”, et se présente comme une série d’images fixes: extraits de carnets collés sur du papier Canon, photographies, portraits, paragraphes découpés de livres, coups de pinceaux rouges et noirs comme des calligraphies, mais aussi des extraits de “Notre musique”, un film de 2004 composé d’images de différentes guerres du 20e siècle. Sur ces images sont montés plusieurs sons provenant de bandes diverses: musique, ambiances, mais aussi et surtout la voix de Jean-Luc Godard lui-même, évoquant ce projet de film qui se serait intitulé “Drôles de guerres”, l’adaptation d’un livre du romancier et militant communiste Charles Plisnier, une nouvelle intitulée Carlotta. Le dispositif est compliqué, fragmenté, c’est comme si on feuilletait pour nous à l’écran un carnet de travail, sans plus d'explications que ça, et à un rythme soutenu, qui crée un effet de léger affolement: beaucoup de choses à lire qu’on n’a pas le temps de lire, beaucoup à percevoir au son qu’on n’est pas sûrs d’avoir entendu, à commencer par cette voix de Jean-Luc Godard elle-même, vieillie, à peine compréhensible d’abord, mais qui s’affermit, et dans laquelle on entend encore si fort le désir de faire du cinéma, et d’en fonder un langage neuf.

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GUILLAUME: C’est surtout cette voix qui a retenu votre attention

C’est sans doute ça le cœur de ce petit film, pas Carlotta, pas Plisnier, pas le cinéma de guerre, mais la tension vers le cinéma, cet élan qui n’a jamais quitté Godard et qui donc, continue de se mouvoir sans lui, lui qui a toujours aimé autant le projet de film que le film. Avant ce Film annonce du film qui n’existera pas, il y a eu d’autres essais de ce type, Scénario du film passion par exemple, sorti en 1982, comme une manière de livrer non pas quelque chose qui n’est pas fini, mais une idée qui est déjà pleine et entière de cinéma.

ça prend une forme un peu rude, certes, on peut suspecter d’ailleurs je trouve, dans la manière de distribuer cet objet étrange au cinéma, une forme de fétichisme envers l’oeuvre du grand maître, dont tout, nécessairement, mériterait l’écrin de la salle obscure - une petite impression pas très agréable confortée par le fait que le film ouvre littéralement avec la mention en gros noir sur blanc de la marque Saint Laurent, qui a largement participé à produire le film.

Il faut écarter ça, se concentrer sur ce que le film a de sensible et vivant pour le regarder sans en avoir peur, ou sans risquer de le voir comme une chose chic et trop sérieuse : le regarder comme une somme de formes, dont chacune est une matière dynamique. Pour moi ce qui fait immédiatement cinéma de Godard là-dedans, et qui me fait plaisir, véritablement, ce sont trois choses: la manière dont la musique s'interrompt d’un coup en milieu de phrase, comme pour alerter; son écriture d’écolier en couleurs primaires, si caractéristique ; et puis une sorte de mélange de grandiloquence et d’humour dans l’emploi de la maxime, concentré dans une formule qu’on attrape au gré du film, et qui dit un peu tout: “C’est votre affaire, et non la mienne, de régner sur l’absence.”

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