Les "Victoire" du Gotha

Par Philippe Delorme | 18 mai 2024, 08h00

 La princesse Alexandra de Luxembourg et son époux, Nicolas Bagory, au mariage de l'archiduc Alexandre de Habsbourg-Lorraine, le 30 septembre 2023.
La princesse Alexandra de Luxembourg et son époux, Nicolas Bagory, au mariage de l'archiduc Alexandre de Habsbourg-Lorraine, le 30 septembre 2023.© David Niviere/ABACAPRESS.COM

En prénommant leur fille Victoire, la princesse Alexandra de Luxembourg et son mari Nicolas Bagory ont-ils songé à célébrer la paix retrouvée en Europe, le 8 mai 1945 ? Ou ont-ils voulu seulement lancer un message de joie et d’espérance ? Quoi qu’il en soit, ce prénom – surtout sous la forme Victoria – s’inscrit dans la tradition du Gotha...

Victoire de Saxe-Cobourg-Saalfeld (1786-1861)

La mère de la reine Victoria avait été mariée en premières noces à Emile-Charles, prince de Leiningen, avec lequel elle aura deux enfants : Charles et Théodora. Veuve, elle épouse en 1818 Edouard, duc de Kent, 4e fils du roi George III de Grande-Bretagne, à l’instigation de son frère, Léopold de Saxe-Cobourg, futur roi des Belges. Le couple aura une seule fille, appelée à la suite de plusieurs décès, à ceindre la couronne. De nouveau veuve dès 1820, la duchesse de Kent se consacrera à son éducation, avec l’aide de John Conroy, l’ancien aide de camp de son défunt mari. Femme énergique, belle et ambitieuse, elle gardera toujours un fort accent germanique. Ecartée du pouvoir après l’avènement de Victoria qui ne supporte plus sa tutelle, elle lui fera tout de même épouser son neveu Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, et consacrera ses vieux jours à cultiver l’art d’être grand-mère.

Victoria de Grande-Bretagne (1819-1901)

Son importance est telle dans l’histoire du Royaume-Uni que l’on a donné son nom à une époque : "l’Ère victorienne", synonyme de progrès technique et de rigueur morale pour les uns, d’exploitation capitaliste et d’hypocrisie sociale pour les autres. Alexandrine Victoria de Hanovre voit le jour le 24 mai 1819, au palais de Kensington, à Londres. Petite-fille du roi George III, elle est et la fille unique d’Édouard, duc de Kent et de Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Sous la férule maternelle, Victoria apprend le latin, plusieurs langues vivantes. À 11 ans, elle devient héritière présomptive du trône, et lord Melbourne est choisi pour parfaire son éducation politique et historique.

Portrait de la reine Victoria. Peinture de Thomas Sully, 1838, huile sur toile.
Portrait de la reine Victoria. Peinture de Thomas Sully, 1838, huile sur toile. © DeAgostini/Getty Images

Le 28 juin 1838 – à 19 ans –, Victoria est couronnée reine à Westminster. Ses prises de position libérales la font haïr des conservateurs, qui voient également d’un mauvais œil son mariage avec son cousin Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Le prince consort, dont les sympathies vont vers l’Allemagne, exerce une influence grandissante sur son épouse, dont il aura huit enfants. Son décès prématuré, en 1861, est un drame intime dont Victoria ne se remettra jamais. À l’aise dans son rôle de souveraine constitutionnelle, Victoria – impératrice des Indes à partir de 1877 – se satisfait d’exercer, selon l’aphorisme du journaliste Walter Bagehot, "le droit d’être consulté, le droit de conseiller et le droit de mettre en garde". Aussi se garde-t-elle prudemment d’intervenir dans le jeu des deux grands partis, conservateur et libéral, qui d’ailleurs évitent eux-mêmes d’ébranler les bases de la domination bourgeoise. 

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Elle s’installe alors dans son personnage de souveraine lointaine, perpétuellement en deuil, gardiennes des vertus et des traditions. Elle voyage beaucoup à l’étranger, quand elle ne réside pas dans l’un de ses châteaux, loin du tumulte londonien. Le 1er mai 1876, Victoria est proclamée impératrice des Indes, et cette "promotion" achève de donner à la reine sa dimension historique. En 1887, son jubilé est l’occasion pour ses sujets de lui témoigner leur affection. L’existence de Victoria continuera à s’écouler, dans une monotonie secouée parfois par quelque problème d’alliances matrimoniales au sein de sa très nombreuse descendance. Plus qu’octogénaire, impotente, ombre d’un monde qui s’efface, la matriarche s’éteint enfin le 22 janvier 1901, à Osborne House, sur l’île de Wight.

Victoria, reine de Prusse impératrice allemande (1840-1901)

Fille aînée de la reine Victoria et du prince consort Albert, elle portait le même prénom que sa mère et sera comme elle, reine et impératrice. Le 25 janvier 1858, elle épouse dans la chapelle du palais de Saint-James, à Londres, le futur Kronprinz Frédéric de Prusse. "Vicky" partage les idées libérales de son mari, ce qui la rendra impopulaire au sein de la famille Hohenzollern et des conservateurs berlinois, en particulier du chancelier Bismark. Elle donnera cependant 8 rejetons à la dynastie, dont 6 attendront l’âge adulte. Fils du roi Guillaume Ier, qui devient empereur allemand en 1871 après sa victoire sur la France, Frédéric III ne règnera que 99 jours, en 1888, bientôt emporté par un cancer du larynx et n’ayant pu entreprendre aucune des réformes qu’il projetait. Veuve, Victoria est écartée de la scène publique par le nouveau souverain, son fils aîné Guillaume II, qui reprend la politique autoritaire de son grand-père. L’impératrice douairière se retire alors à Kronberg im Taunus où elle fait bâtir le château de Friedrichshorf. Elle y trépassera, des suites d’un cancer du sein, en 1901, quelques semaines seulement après sa mère.

Victoria-Eugénie de Battenberg, reine d’Espagne (1887-1969)

Alphonse XIII a 20 ans lorsqu’il épouse Victoria-Eugénie – alias "Ena" – de Battenberg. Née en 1887 au château de Balmoral, celle-ci est la fille du prince Henri de Battenberg, issu d’une branche morganatique de la Maison de Hesse, et de Béatrix de Grande-Bretagne, l’une des filles de la reine Victoria. En ce 31 mai 1906, Madrid est en liesse pour fêter l’union du jeune monarque, célébrée dans l’église San Geronimo. Le cortège, en regagnant le palais d’Orient, à l’issue de la cérémonie, doit s’arrêter brusquement dans l’étroite calle Mayor. A ce moment, une bombe, jetée d’un immeuble voisin, explose entre les derniers chevaux et les roues du carrosse royal. Quatorze personnes sont tuées sur le coup, et un grand nombre sont grièvement blessées. Miraculeusement, le roi et la nouvelle reine sont indemnes. C’est en pleurs, visiblement choquée, qu’Ena, sa robe blanche maculée de sang, va gravir l’escalier du palais de Philippe V, comme les marches du destin… 

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En s’attaquant à elle, les anarchistes ont obtenu un résultat contraire à ce qu’ils recherchaient : Victoria-Eugénie a conquis dans l’adversité le coeur de ses sujets. Elle consolidera encore sa position en donnant à la couronne quatre princes et deux princesses. Pourtant, seul l’un de ses garçons sera en mesure d’assumer l’héritage dynastique : don Juan, le père de l’actuel souverain espagnol. Jaime, sourd et muet, abandonnera ses droits, tandis que les deux autres frères, Alfonso et Gonzalo, disparaîtront victimes de l’hémophilie, héritage maudit de la reine Victoria. En 1931, Alphonse XIII quittera le pouvoir au profit des républicains. Quant il mourra, en 1941, l’Espagne soigne encore les blessures de la guerre civile. Quant à Ena, installée en Suisse, elle mourra à Lausanne le 15 avril 1969, sans avoir vu son petit-fils Juan Carlos restaurer la monarchie.

Victoria de Suède (née en 1977)

En 1980, la Suède abrogeait la loi salique, avec effet rétroactif au détriment de Carl Philip, né quelques mois auparavant, déchu de sa qualité de prince royal. La future reine de Suède sera donc Victoria, fille aînée du roi Carl XVI Gustaf et de la reine Silvia. Née le 14 juillet 1977, elle fêtera donc bientôt son 47e anniversaire, faisant d’elle la "doyenne" des princesses héritières. Après ses classes primaires dans son pays, elle a été étudiante en France, à Angers, pour parfaire sa connaissance de la langue de ses ancêtres Bernadotte. Elle s’inscrira ensuite à la prestigieuse université de Yale et effectuera plusieurs stages de formation politique aux États-Unis. Elle obtiendra ensuite une licence en sciences humaines et sociales à Uppsala et suivra une formation militaire, étape obligée pour un futur monarque. 

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Le 19 juin 2010, Victoria épouse Daniel Westling, son ancien professeur de sport, qu’elle fréquentait depuis presque dix ans. Le couple aura deux enfants, la princesse Estelle née en 2012 et le prince Oscar en 2016. Selon les règles en vigueur, c’est donc Estelle qui devrait succéder un jour à sa mère. Très populaire auprès de ses concitoyens, la princesse héritière Victoria accomplit de plus en plus d'engagements publics à la place de son père, même si celui-ci n'a pas encore exprimé son intention d’abdiquer.

Vittoria de Savoie (née en 2003)

Aînée des deux filles d’Emanuele Filiberto, duc de Savoie, prince de Venise, et de l’actrice Clotilde Courau, Vittoria est l’arrière-petite-fille du dernier roi d’Italie, Umberto II, déchu en 1946. En 2020, son grand-père, Victor-Emmanuel, la titre princesse de Carignan et marquise d’Ivrée, et déclare abolir la loi salique à son profit, créant la discorde parmi les monarchistes italiens. 

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Élevée entre la Suisse, l’Italie, Monaco et la France, cette "princesse millenial" peut compter sur la bienveillance des magazines people, qui louent sa beauté et son élégance. Fascinée par l’univers de la mode, et mannequin à ses heures, Vittoria imagine son avenir dans le milieu des arts et du théâtre, étudie la gestion d’entreprises culturelles, écume musées et expositions, prend des cours d’art dramatique. "J’ai 20 ans et beaucoup à apprendre", confiait-elle récemment. Vittoria se rêve galeriste, à la découverte de jeunes talents, et pourquoi pas actrice ?

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