Mode : la folle histoire du smoking | Les Echos
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Analyse

Mode : la folle histoire du smoking

Il a fait ses débuts au XIX e  siècle dans les fumoirs anglais. Chahuté par la mode qui joue de ses atouts masculins-féminins, le smoking n'a rien perdu de son panache.

Veste asymétrique en gabardine de laine et chemise de smoking en coton, Dolce & Gabbana.
Veste asymétrique en gabardine de laine et chemise de smoking en coton, Dolce & Gabbana. (Photographe : Marion Parez pour les Echos Week-End/Stylisme : Aline de Beauclaire)

Par Astrid Faguer

Publié le 10 mai 2024 à 06:02

Sur les bristols d'invitation, le smoking est désigné par ces mots « black tie » (en référence au noeud papillon noir qui l'accompagne) ou « tenue de cocktail ». Et, dans le Larousse, il est cité comme « tenue de soirée masculine dont le veston est à revers de satin et le pantalon orné à la couture d'un galon de même satin ». Mais se contenter de cette définition serait oublier les origines de ce costume du soir. Imaginée dans l'Angleterre du XIXe pour les gentlemen, la smoking jacket remplace au fumoir sa grande soeur la queue-de-pie - qui, grâce à cette invention, n'empeste plus le tabac.

Veste asymétrique en gabardine de laine, pantalon évasé en gabardine de laine, chemise de smoking en coton, escarpins en satin, Dolce & Gabbana.

Veste asymétrique en gabardine de laine, pantalon évasé en gabardine de laine, chemise de smoking en coton, escarpins en satin, Dolce & Gabbana.Photographe : Marion Parez pour les Echos Week-End/Stylisme : Aline de Beauclaire

Blazer ajusté à double boutonnage en satin, jupe droite en satin, Sportmax.

Blazer ajusté à double boutonnage en satin, jupe droite en satin, Sportmax.Photographe : Marion Parez pour les Echos Week-End/Stylisme : Aline de Beauclaire

Plus courte, plus légère et plus commode, cette veste d'intérieur est aussi pourvue de bandes de satin ou de soie sur lesquelles glissent les cendres. C'est Edouard VII, alors prince de Galles, qui le premier ose porter son smoking (réalisé en 1865 par le tailleur Henry Poole à Savile Row ) en dehors du fumoir. Puis la légende se met en place et le smoking concurrence progressivement la queue-de-pie jusqu'à la supplanter dans les soirées chics, aux Etats-Unis puis en Europe. Les stars masculines hollywoodiennes ne jurent que par lui - de Cary Grant à Clark Gable, en passant par Marlon Brando.

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Veste queue-de-pie en shantung de laine et soie, gilet en popeline de coton, blouse en popeline de coton, short en shantung de laine et soie, Dior. Bottines « Apolonkle » en cuir verni, Manolo Blahnik.

Veste queue-de-pie en shantung de laine et soie, gilet en popeline de coton, blouse en popeline de coton, short en shantung de laine et soie, Dior. Bottines « Apolonkle » en cuir verni, Manolo Blahnik.Photographe : Marion Parez pour les Echos Week-End/Stylisme : Aline de Beauclaire

Les crooners et les stars du cabaret aussi - Sinatra et Astaire. La vague atteint la variété française et ses chanteurs populaires dans les années 1960 et 1970 - Sacha Distel, Claude François, Joe Dassin. En 1966, révolution : Yves Saint Laurent propose son smoking pour femme. Dès lors, la transgression est permise. Sur scène ou sur leurs pochettes d'album, Gainsbourg et Mick Jagger s'en donnent à coeur joie. Tandis que sur les tapis rouges ou dans tous les James Bond, la version traditionnelle du smoking prime encore aujourd'hui. « Finalement le smoking est comme un bon standard : on le reconnaît, il est normé, il joue sa partition, a ses règles et ses usages, mais traverse les époques à coups d'adaptations et de variations », résume Emilie Hammen, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l'Institut français de la mode.

Les adeptes du tuxedo à Hollywood

De l'autre côté de l'Atlantique, le smoking s'appelle tuxedo. Introduit sur le sol américain en 1886 par le milliardaire James Potter, il hérite du nom du country club new-yorkais où celui-ci se rendait - le Tuxedo Park. Les Etats-Unis deviennent les meilleurs ambassadeurs de ce costume du soir réservé aux grandes occasions. Porté avec des souliers vernis (que le chanteur appelait ses Mary Janes), il devient la marque de fabrique de Sinatra sur scène. « Pour moi, porter un smoking, c'est un mode de vie », déclare le crooner au New York Times en 1997.

Frank Sinatra, dans une scène du film « La Blonde ou la Rousse » (1957).

Frank Sinatra, dans une scène du film « La Blonde ou la Rousse » (1957).Columbia Pictures/Getty Images

Dean Martin et Fred Astaire ne jurent également que par lui. La légende dit que ce dernier fut enterré avec son modèle favori. Dans les années 1970, le créateur Ralph Lauren en fait l'une de ses pièces phares, que porteront Clint Eastwood ou Kevin Costner pour fouler les tapis rouges. Sur le dos de DiCaprio, le tuxedo est l'autre star de Gatsby le Magnifique (2013). L'année de la sortie du film, le tailleur Brooks Brothers présentera une collection de smokings baptisée « The Great Gatsby ».

Signe d'émancipation féminine ?

A gauche : Eagle Jacket en lamé doré pour femme, de la marque parisienne Pallas. A droite : Marlene Dietrich incarne Amy Jolly dans « Coeurs brûlés » (1930).

A gauche : Eagle Jacket en lamé doré pour femme, de la marque parisienne Pallas. A droite : Marlene Dietrich incarne Amy Jolly dans « Coeurs brûlés » (1930).Pallas - Mary Evans/SIPA

Plus qu'un vêtement, au début du XXe siècle et notamment pendant l'entre-deux-guerres, le smoking devient un outil pour les femmes qui veulent se libérer, s'émanciper. Cheveux courts et silhouettes tubulaires, l'allure de celles qu'on appelle les « androgynes » ou les « garçonnes » (expression immortalisée par le roman éponyme de Victor Margueritte paru en 1922) fait polémique. Colette, Renée Vivien et George Sand sont de celles-là. Elles osent le costume du soir, jusqu'ici exclusivement réservé aux hommes. En 1930, c'est Marlene Dietrich qui fait scandale, habillée d'un modèle noir par le costumier du tout-Hollywood (Travis Banton) dans le film Coeurs brûlés.

La version classique de 007

Sean Connery, dans « James Bond 007 contre Dr No » (1963).

Sean Connery, dans « James Bond 007 contre Dr No » (1963).Collection Christophel

En 1963, avec Dr No, James Bond apparaît pour la première fois sur grand écran, sous les traits de Sean Connery. Il porte un smoking bleu nuit confectionné par le tailleur londonien Anthony Sinclair. Dès lors, ce costume du soir colle à la peau de l'élégant agent secret britannique. Dans les années 1990, Pierce Brosnan devient 007 et s'habille chez Brioni. Tandis que Daniel Craig choisit Tom Ford.

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Et Saint Laurent (ré) inventa le smoking féminin

Si d'autres s'y sont essayés avant lui - comme Elsa Schiaparelli avec sa robe smoking en 1950 -, il faut attendre la collection haute couture automne-hiver de 1966 d'Yves Saint Laurent pour que le smoking pour femme fasse sa révolution, avec un modèle légèrement adapté au corps féminin. D'abord boudé (il ne s'en vend qu'un seul exemplaire l'année de sa sortie), ce modèle connaît ensuite le succès auprès de la jeunesse dans sa version prêt-à-porter - vendu 680 francs pièce, il s'arrache dans la boutique rive gauche Yves Saint Laurent de la rue de Tournon. Le smoking devient l'une des pièces phares du couturier, ex aequo avec la saharienne.

A gauche : les top-modèles Jerry Hall, Naomi Campbell et Claudia Schiffer, lors du « défilé d'adieux » d'Yves Saint Laurent, collection haute couture printemps-été 2002. A droite : Justine Triet, aux Oscars en mars. La réalisatrice est récompensée par l'Oscar du meilleur scénario original pour « Anatomie d'une chute ».

A gauche : les top-modèles Jerry Hall, Naomi Campbell et Claudia Schiffer, lors du « défilé d'adieux » d'Yves Saint Laurent, collection haute couture printemps-été 2002. A droite : Justine Triet, aux Oscars en mars. La réalisatrice est récompensée par l'Oscar du meilleur scénario original pour « Anatomie d'une chute ».Pool Simon/Stevens/Gamma - UPI/ABACA

Helmut Newton - grand complice de Saint Laurent - l'immortalise en 1975, rue d'Aubriot à Paris porté par une élégante androgyne qui fume. En 2002, à l'occasion de son « défilé d'adieux », présenté devant 1.500 personnes, Catherine Deneuve et Laetitia Casta, vêtues de smokings noirs, se lèvent et entonnent Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous. Depuis, cette pièce forte et identifiable entre toutes figure régulièrement dans les collections des grands créateurs et habille les femmes puissantes. Pour son irrésistible ascension jusqu'aux Oscars, la réalisatrice Justine Triet n'a porté que des smokings, créés par Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton.

Les détournements pop et rock

Claude François et ses Claudettes dans le studio de la télévision suisse TSR en janvier 1976.

Claude François et ses Claudettes dans le studio de la télévision suisse TSR en janvier 1976.Erling Mandelmann/Gamma Rapho

En France dans les années 1960 et 1970, les chanteurs de variété n'hésitent pas à donner des accents disco à leurs smokings de scène. Ainsi, quand il chante Alexandrie Alexandra, Claude François ose la version revers pailleté, chemise rose satinée à jabot et pantalon en trompette. Aux Etats-Unis, un rockeur du nom de Mick Jagger s'amuse à le marier avec ses chemises en jean. Quand, dans les années 1990 en France, dans un genre provocateur qui fait son style, Gainsbourg l'associe à sa paire de Zizi blanches Repetto et à son paquet de Gitanes.

Du bon usage du smoking

Le smoking ne se porte jamais la journée mais exclusivement le soir (à partir de 18 heures).

Il doit être taillé dans un lainage noir (le grain de poudre) mêlé de mohair, réputé infroissable.

Quelle que soit sa coupe (classique, croisée, droite avec col châle…), ses poches - dites poches passepoilées - ne doivent présenter aucun rabat.

Le choix de la chemise - évidemment blanche - et du noeud papillon - noir - ne relève pas du hasard. La première arbore généralement un col classique dit français ou italien - mais la liste est longue des variantes autorisées : avec col cassé, plastron nid d'abeille… Quant au noeud papillon (à nouer soi-même), il dépend en grande partie de la chemise choisie.

Côté souliers, les puristes diront que seuls les richelieux vernis ou glacés sont de mise.

Astrid Faguer

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