Mode : la folle histoire du smoking
Il a fait ses débuts au XIX e siècle dans les fumoirs anglais. Chahuté par la mode qui joue de ses atouts masculins-féminins, le smoking n'a rien perdu de son panache.
Par Astrid Faguer
Sur les bristols d'invitation, le smoking est désigné par ces mots « black tie » (en référence au noeud papillon noir qui l'accompagne) ou « tenue de cocktail ». Et, dans le Larousse, il est cité comme « tenue de soirée masculine dont le veston est à revers de satin et le pantalon orné à la couture d'un galon de même satin ». Mais se contenter de cette définition serait oublier les origines de ce costume du soir. Imaginée dans l'Angleterre du XIXe pour les gentlemen, la smoking jacket remplace au fumoir sa grande soeur la queue-de-pie - qui, grâce à cette invention, n'empeste plus le tabac.
Plus courte, plus légère et plus commode, cette veste d'intérieur est aussi pourvue de bandes de satin ou de soie sur lesquelles glissent les cendres. C'est Edouard VII, alors prince de Galles, qui le premier ose porter son smoking (réalisé en 1865 par le tailleur Henry Poole à Savile Row ) en dehors du fumoir. Puis la légende se met en place et le smoking concurrence progressivement la queue-de-pie jusqu'à la supplanter dans les soirées chics, aux Etats-Unis puis en Europe. Les stars masculines hollywoodiennes ne jurent que par lui - de Cary Grant à Clark Gable, en passant par Marlon Brando.
Les crooners et les stars du cabaret aussi - Sinatra et Astaire. La vague atteint la variété française et ses chanteurs populaires dans les années 1960 et 1970 - Sacha Distel, Claude François, Joe Dassin. En 1966, révolution : Yves Saint Laurent propose son smoking pour femme. Dès lors, la transgression est permise. Sur scène ou sur leurs pochettes d'album, Gainsbourg et Mick Jagger s'en donnent à coeur joie. Tandis que sur les tapis rouges ou dans tous les James Bond, la version traditionnelle du smoking prime encore aujourd'hui. « Finalement le smoking est comme un bon standard : on le reconnaît, il est normé, il joue sa partition, a ses règles et ses usages, mais traverse les époques à coups d'adaptations et de variations », résume Emilie Hammen, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l'Institut français de la mode.
Les adeptes du tuxedo à Hollywood
De l'autre côté de l'Atlantique, le smoking s'appelle tuxedo. Introduit sur le sol américain en 1886 par le milliardaire James Potter, il hérite du nom du country club new-yorkais où celui-ci se rendait - le Tuxedo Park. Les Etats-Unis deviennent les meilleurs ambassadeurs de ce costume du soir réservé aux grandes occasions. Porté avec des souliers vernis (que le chanteur appelait ses Mary Janes), il devient la marque de fabrique de Sinatra sur scène. « Pour moi, porter un smoking, c'est un mode de vie », déclare le crooner au New York Times en 1997.
Dean Martin et Fred Astaire ne jurent également que par lui. La légende dit que ce dernier fut enterré avec son modèle favori. Dans les années 1970, le créateur Ralph Lauren en fait l'une de ses pièces phares, que porteront Clint Eastwood ou Kevin Costner pour fouler les tapis rouges. Sur le dos de DiCaprio, le tuxedo est l'autre star de Gatsby le Magnifique (2013). L'année de la sortie du film, le tailleur Brooks Brothers présentera une collection de smokings baptisée « The Great Gatsby ».
Signe d'émancipation féminine ?
Plus qu'un vêtement, au début du XXe siècle et notamment pendant l'entre-deux-guerres, le smoking devient un outil pour les femmes qui veulent se libérer, s'émanciper. Cheveux courts et silhouettes tubulaires, l'allure de celles qu'on appelle les « androgynes » ou les « garçonnes » (expression immortalisée par le roman éponyme de Victor Margueritte paru en 1922) fait polémique. Colette, Renée Vivien et George Sand sont de celles-là. Elles osent le costume du soir, jusqu'ici exclusivement réservé aux hommes. En 1930, c'est Marlene Dietrich qui fait scandale, habillée d'un modèle noir par le costumier du tout-Hollywood (Travis Banton) dans le film Coeurs brûlés.
La version classique de 007
En 1963, avec Dr No, James Bond apparaît pour la première fois sur grand écran, sous les traits de Sean Connery. Il porte un smoking bleu nuit confectionné par le tailleur londonien Anthony Sinclair. Dès lors, ce costume du soir colle à la peau de l'élégant agent secret britannique. Dans les années 1990, Pierce Brosnan devient 007 et s'habille chez Brioni. Tandis que Daniel Craig choisit Tom Ford.
Et Saint Laurent (ré) inventa le smoking féminin
Si d'autres s'y sont essayés avant lui - comme Elsa Schiaparelli avec sa robe smoking en 1950 -, il faut attendre la collection haute couture automne-hiver de 1966 d'Yves Saint Laurent pour que le smoking pour femme fasse sa révolution, avec un modèle légèrement adapté au corps féminin. D'abord boudé (il ne s'en vend qu'un seul exemplaire l'année de sa sortie), ce modèle connaît ensuite le succès auprès de la jeunesse dans sa version prêt-à-porter - vendu 680 francs pièce, il s'arrache dans la boutique rive gauche Yves Saint Laurent de la rue de Tournon. Le smoking devient l'une des pièces phares du couturier, ex aequo avec la saharienne.
Helmut Newton - grand complice de Saint Laurent - l'immortalise en 1975, rue d'Aubriot à Paris porté par une élégante androgyne qui fume. En 2002, à l'occasion de son « défilé d'adieux », présenté devant 1.500 personnes, Catherine Deneuve et Laetitia Casta, vêtues de smokings noirs, se lèvent et entonnent Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous. Depuis, cette pièce forte et identifiable entre toutes figure régulièrement dans les collections des grands créateurs et habille les femmes puissantes. Pour son irrésistible ascension jusqu'aux Oscars, la réalisatrice Justine Triet n'a porté que des smokings, créés par Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton.
Les détournements pop et rock
En France dans les années 1960 et 1970, les chanteurs de variété n'hésitent pas à donner des accents disco à leurs smokings de scène. Ainsi, quand il chante Alexandrie Alexandra, Claude François ose la version revers pailleté, chemise rose satinée à jabot et pantalon en trompette. Aux Etats-Unis, un rockeur du nom de Mick Jagger s'amuse à le marier avec ses chemises en jean. Quand, dans les années 1990 en France, dans un genre provocateur qui fait son style, Gainsbourg l'associe à sa paire de Zizi blanches Repetto et à son paquet de Gitanes.
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Du bon usage du smoking
Le smoking ne se porte jamais la journée mais exclusivement le soir (à partir de 18 heures).
Il doit être taillé dans un lainage noir (le grain de poudre) mêlé de mohair, réputé infroissable.
Quelle que soit sa coupe (classique, croisée, droite avec col châle…), ses poches - dites poches passepoilées - ne doivent présenter aucun rabat.
Le choix de la chemise - évidemment blanche - et du noeud papillon - noir - ne relève pas du hasard. La première arbore généralement un col classique dit français ou italien - mais la liste est longue des variantes autorisées : avec col cassé, plastron nid d'abeille… Quant au noeud papillon (à nouer soi-même), il dépend en grande partie de la chemise choisie.
Côté souliers, les puristes diront que seuls les richelieux vernis ou glacés sont de mise.
Astrid Faguer